Chroniques

par bertrand bolognesi

Mozart | Messe en ut mineur K.427
Chœur et Orchestre de Paris dirigé par Louis Langrée

Marita Sølberg, Katija Dragojevic, Toby Spence, Nahuel Di Pierro
Salle Pleyel, Paris
- 10 décembre 2014
à Pleyel, Louis Langrée dirige l’Orchestre de Paris dans Schubert et Mozart
© benoit linero

Ce n’est pas, à parler droit, un mauvais concert. Avant que de donner la Grande messe en ut mineur K.427 dans l’achèvement qu’il en réalisa lui-même – en 1783, Wolfgang Amadeus Mozart laissait en effet son œuvre en suspens, d’où les nombreuses versions proposées aujourd’hui –, Louis Langrée s’attelle à la Symphonie en ut mineur D.417 n°4 de Franz Schubert.

Après un accord d’appel relativement lourd, l’Adagio molto d’ouverture lambine luxueusement, dessinant un parcours capricieux au fil de rubatos assez curieux. La naissance du mouvement lui-même (Allegro vivace) bénéficie de cordes irréprochables mais rendues exsangues par un déséquilibre brutal avec les répons écrasés du tutti. Le dosage avec les contrebasses et les timbales n’est pas réalisé au mieux. Par ailleurs, on goûte des vents en grande forme, particulièrement les bois. Mais cette lecture n’est traversée d’aucune vie, sinon celle, végétative, des tardigrades à la mauvaise saison. Après un Andante à peine décoré de quelques jolies nuances, le Menuetto ronfle tout son soûl, accouchant bientôt d’un thème tendre… qui ne l’est pas. Il n’est qu’à l’Allegro conclusif que le dessin général fonctionne soudain : loin de l’urgence qu’on en pourrait attendre, ce final se démarque enfin du confort patachon des trois mouvements précédents. Cela dit, la dynamique n’en demeure pas moins problématique, quittant brutalement le sujet comme s’il s’agissait d’imposer un fragment qui semble surgir de nulle part, détissant la cohérence de l’œuvre. Les derniers pas chaussent leurs brodequins préférés, propulsant l’écoute quelques décennies en arrière : on traîne, on surligne, bref on « pompiérise ». L’impression globale est d’une exécution molle sans pour autant laisser entendre quelque délicatesse de timbres dont on aurait cependant largement eu le temps de profiter. Empesé.

Les quatre voix solistes que convoque la Grande messe K.427 ont été soigneusement choisies, indéniablement. Le jeune baryton-basse argentin Nahuel Di Pierro, qui n’intervient que dans le Benedictus, révèle de saines qualités musicales. On retrouve le ténor britannique Toby Spence et son éternelle clarté, qui négocie sa partie avec une souplesse souveraine, plus à son aise que récemment dans la Neuvième de Beethoven [lire notre chronique du 11 septembre 2014]. Dès le Laudamus Te se fait apprécier l’onctuosité de Katija Dragojevic, la fiabilité des vocalises de ce mezzo de velours à l’ambre fort attachant. Si les notes tenues accusent un rien d’instabilité, elle se joue des intervalles les plus « méchants ». Enfin, le soprano norvégien Marita Sølberg possède un timbre à la fois précis et caressant, une agilité sans faille, une tendresse d’inflexion savamment déclinée dans un chant toujours impératif, quoique tout en douceur. Outre un phrasé tranquille et inépuisable, elle mène Et incarnatus est avec un naturel surprenant, idéal, y compris dans les ornements les plus galants où elle déroule un legato évident. Ainsi, par ces artistes, le Quoniam est-il, pour ainsi dire, miraculeux, avec ses entrelacs et chromatismes si redoutables. Encore faut-il compter sur les voix du Chœur de l’Orchestre de Paris, préparées par Lionel Sow, vaillantes et efficaces.

Il n’en va pas de même de la proposition du chef. Par une introduction pontifiante du Kyrie, le ton est donné d’emblée. Malgré un recueillement plus probant en fin de séquence, l’accompagnement du Gloria est à peine saupoudré, ne laissant percevoir qu’une joie de convention rehaussée par des à-coups disgracieux. Rien de saisissant dans le Gratias agimus tibi, aucune tension dans Qui tollis peccata mundi, puis fugue scolaire. Les premières mesures d’Et incarnatus est font un sort à tout, Louis Langrée soulignant d’une ampoule ô combien narcissique les beautés instrumentales d’une œuvre dont il met ce passage en vitrine. Encore le Sanctus n’avance-t-il pas, comme englué dans une articulation chichiteuse que l’absence de vivacité de l’Hosanna se garde de bousculer. Il n’est que dans Domine Deo (Gloria) que cette lecture parvient à convaincre, par une ciselure plus sertie des cordes et une réelle présence de la musique, cette fois. L’on oubliera donc vite cette soirée flasque, bien que… ce ne fût pas, à parler droit, un mauvais concert.

BB