Chroniques

par gérard corneloup

Norma
opéra de Vincenzo Bellini

Opéra de Lausanne / Théâtre de Baulieu
- 28 octobre 2011
© marc vanappelghem

Après des années de travaux, l’Opéra de Lausanne, par tradition haut lieu de l’art lyrique helvétique, devrait voir la fin de ses (nombreuses) saisons hors les murs et réintégrer son site d’origine, transformé en matière d’architecture et (enfin) rendu à sa vocation première. C’est donc la dernière saison itinérante que l’institution vient d’ouvrir dans le cadre austère mais efficace de la grande salle du théâtre de Beaulieu, l’un de ses traditionnels lieux d’accueil. Le choix du directeur s’est porté vers l’un des piliers de l’art lyrique italien, cette Norma créée sur la scène de la Scala il y aura cent quatre-vingt ans, dans quelques semaines exactement. Inutile de revenir sur les dons harmoniques assez limités du maestro Bellini, ni sur son instrumentation plutôt sommaire. C’était alors la règle générale du bel canto, genre qui donnait le frisson aux mélomanes italiens à la recherche d’une seule chose : la vocalité extrême poussée jusqu’à la virtuosité la plus époustouflante. Le jeune Vincenzo n’y manque point, qui offre aux divers chanteurs, en solo où lors d’ensembles concertants, leur lot de pyrotechnies moulées dans la richesse mélodique propre à la veine bellinienne.

On l’aura compris : une bonne interprétation de Norma, des Puritani [lire nos chroniques toulonnaise du 26 avril 2009 et genevoise du 26 janvier 2011], d’Il Pirata [lire notre chronique marseillaise du 25 février 2009], et des autres passe par la qualité à la fois dramatique et vocale des interprètes, tant au niveau du style qu’à ceux de l’expressivité et de la « combativité ». Or, ils sont ici cinq protagonistes. Le rôle éponyme exige à la fois un registre d’une rare étendue et un art de manier la vocalité dans la vaillance, comme dans la tendresse. Deux sentiments ressentis, et devant donc être exprimés au mieux, par une femme à la fois maîtresse jalouse et mère inquiète. Au delà d’une indéniable musicalité, le soprano japonais Hiromi Omura ne possède pas vraiment cet écrasant bagage vocal, plus à l’aise dans la tendresse que dans la véhémence, un rien engloutie sous l’ampleur des ensembles qu’elle devrait plus dominer et soulever, comme dans la scène où Norma appelle les guerriers celtes au combat contre Rome.

Ce style, ce mélange de ductilité et d’expressivité, bref cet art du bel canto, est en revanche parfaitement possédé et restitué par le mezzo Béatrice Uria Monzon (Adalgisa). Certes, certains aigus sont désormais un rien voilés, mais le style y est solidement implanté. Ce style, le ténor Giuseppe Gipali devrait nettement l’affirmer, le peaufiner, le crédibiliser, éloigner Bellini du vérisme pour le ramener vers son époque et son style. Finalement, à côté de la Clotilde fort expressive et très en style, le grand gagnant de cette distribution (par trop hétérogène) est, sans contexte, la basse américaine Oren Gradus, parfait de style, de musicalité, de présence scénique et de chant bien conduit, dans le rôle du grand-prêtre Oroveso.

On peut lui ajouter la superbe prestation des Chœurs de l’Opéra de Lausanne, parfaitement préparés par Véronique Carrot. Et puis, et surtout – il eut d’ailleurs fallu commencer par lui ! – soulignons le rôle exigeant, convaincant, valorisant, déterminant, bref parfaitement en situation, du chef italien Roberto Rizzi Brignoli. Il nage dans ce répertoire comme un poisson dans l’eau et emporte l’auditeur, heureux et fasciné, avec lui.

Venons-en tout de même à la composante scénique, même si la convention du temps accable le livret de Norma sous les clichés. La femme amoureuse et abandonnée, le séducteur qui délaisse sa conquête, ainsi que leurs enfants, pour une nouvelle et jeune proie, un temps de guerre, l’art du sacrifice, etc., etc., etc., le tout à grand renfort de prières, de duels vocaux et de défilés. Voulant sans doute éviter le style « gaulois » façon Astérix, le metteur en scène Massimo Gasparon, qui s’est aussi débattu avec les décors, les costumes et les éclairages, déplace l’intrigue dans une sorte d’Extrême-Orient qu’il veut résolument dépouillé et monocolore – sauf quand il affuble ses infortunés ex-Gaulois de couvre-chefs extravagants ! Quant aux Romains, s’ils conservent leur tenue réglementaire de combattants, ils ont droit à de singulières capes et jupettes d’un mauve façon guimauve qui laisse perplexe.

GC