Chroniques

par katy oberlé

Norma
opéra de Vincenzo Bellini

Teatro Filarmonico, Vérone
- 27 avril 2017
à Vérone, la production Hugo De Ana de Norma de Bellini plait beaucoup
© ennevi | fondazione arena di verona

À Castelnaudary, on ne fait pas seulement le meilleur des cassoulets ! Outre l’épistémologue Georges Canguilhem, cette charmante commune occitane donna naissance au dramaturge Alexandre Soumet (1786-1845). C’est-à-dire ? Académicien aujourd’hui complètement oublié, dont on peut apercevoir la tombe en se promenant au cimetière du Montparnasse, ce monsieur assez inconstant dans ses engagements politiques – pour ne pas dire débrouillard : il fut le bibliothécaire de Charles X puis de Louis-Philippe, voilà qui fait sens, non ? – a donné au théâtre une bonne quinzaine de pièces, dont une tragédie en cinq actes jouée à l’Odéon au printemps 1831, Norma ou l'infanticide. C’est d’elle dont s’est immédiatement saisi le génial Génois Felice Romani pour le livret du plus célèbre des opéras de Vincenzo Bellini, Norma, créé à la Scala le 26 décembre de la même année. Il se situe entre La sonnambula (Milan, 1831), lui aussi inspiré du théâtre français (Eugène Scribe), et Beatrice di Tenda (Venise, 1833), deux ouvrages également signés Romani [lire notre chronique du 25 janvier 2010 et notre critique du DVD].

Hugo De Ana revisite la production qu’il avait conçue en 2004 pour Vérone. Sa nouvelle mouture transpose Norma au XIXe siècle, inversant les données par la même occasion : nous ne verrons pas la Gaule antique occupée par les Romains, mais Rome occupé par les Français. Grâce à cet ingénieux changement de point de vue, le génial metteur en scène argentin, dont le superbe Samson et Dalila de Turin fut chaleureusement salué [lire notre chronique du 23 novembre 2016], atteint la sensibilité italienne de toute autre manière en suscitant une empathie inattendue pour le destin de la prêtresse. Le résultat est évident : le public, qui dans la magnifique scénographie de Filippi Venezia reconnaît ce néoclassicisme pompeux du temps de Bellini qui lui est familier, se trouve immédiatement pris par une histoire qui l’émeut plus encore que de coutume. De style Empire comme les costumes napoléoniens et les rares éléments de mobilier, quatre colonnes monumentales, reliées en hauteur par une frise sculptée, délimitent le vaste espace du drame où Pollione est consul, assisté d’une légion française dont Flavius est l’un des officiers. Un statisme presque hiératique habite le plateau. En faisant confiance au métier des chanteurs, son esthétisme est vainqueur. Quelques images fortes le traversent, comme le sacrifice final : le couple n’y périt pas par le feu mais sous les lances. Grandiose, vraiment !

Dûment préparés par Vito Lombardi, les artistes du Coro della Fondazione Arena di Verona, en experts de ce répertoire, offrent une masse impressionnante. Le jeune Francesco Ivan Ciampa (trente-cinq ans) mène sagement les musiciens de l’Orchestra della Fondazione Arena di Verona dans une interprétation qui, en fidèle reflet de l’option scénique, grandit dans une digne rigueur plutôt que vers des débordements anachroniques.

Le timbre clair de Madina Karbeli fonctionne bien dans la partie de la confidente Clotilde. Antonello Ceron est moins sûr en Flavio. Rubens Pelizzari déploie une ligne de chant agréable. Après avoir pris le rôle de Pollione au Festival Sferisterio Macerata l’été dernier, le ténor italien fait preuve d’une sûreté dans la ciselure, et l’on aura plaisir à le retrouver dans la Norma de Genève, le mois prochain. En Adalgisa, la couleur sombre du mezzo Anna Maria Chiuri surprend d’abord, mais elle triomphe bientôt, donnant corps aux tourments de la passion. La puissance, la profondeur troublante du timbre et l’envol irrésistible du phrasé sont les atouts majeurs de Csilla Boross. Avec une musicalité hors pair, le soprano hongrois magnifie le rôle-titre [lire nos chroniques du 5 février 2012, du 26 juillet 2014 et du 15 juin 2016]. Enfin, nous acclamons vigoureusement l’excellentissime Marko Mimica pour sa composition d’Oroveso ! Récemment saluée en Alfonso d'Este [lire notre chronique du 28 octobre 2016], cette basse est crédible, malgré son jeune âge, dans l’incarnation du vieux druide auquel il prête une grande voix qu’il nuance luxueusement. Avec de tels moyens et un physique si remarquable, un bel avenir s’ouvre à lui, c’est certain.

KO