Chroniques

par irma foletti

Norma
opéra de Vincenzo Bellini

Teatro Real, Madrid
- 10 et 12 mars 2021
à Madrid, Justin Way met en scène "Norma" de Bellini
© javier del real

Après un confinement généralisé dans tout le pays en mars 2020, le Teatro Real a repris ses représentations en juillet dernier, avec d’abord une Traviata très précautionneuse en version semi-scénique, chaque soliste et choriste restant circonscrit dans un quadrilatère alloué. Et les spectacles s’enchaînent depuis, dans des conditions qui tendent vers la normalité, en recevant un public à soixante pour cent de la capacité maximale de la salle. Le théâtre madrilène est donc l’un des rares à jouer actuellement en présentiel, selon l’expression à la mode en ces temps de pandémie. Au public chanceux il offre une mise en scène concoctée par Justin Way pour magnifier le titre le plus connu de Vincenzo Bellini.

Il s’agit d’une nouvelle production très théâtre-dans-le-théâtre qui propose de ramener Norma à l’époque de sa création, à la Scala de Milan le 26 décembre 1831, partie de l’Italie alors sous le joug autrichien. Un cadre de scène et un praticable sont installés sur le plateau, éclairés à la rampe, avec trois niveaux de loges d’avant-scène vues en coupe côté cour. On imagine que les tableaux extrêmement classiques des druides se rassemblant autour de tabourets de pierre, sur fond d’arbres joliment éclairés, pourraient être ceux proposés au public de la première scaligère. L’équipe artistique – Charles Edwards pour les décors [lire nos chroniques de Lucia di Lammermoor, Adriana Lecouvreur et Káťa Kabanová], Sue Willmington pour les costumes et Nicolas Fischtel aux lumières – a sans doute effectué des recherches iconographiques en ce sens.

Pollione apparaît en habits de militaire autrichien dans la Lombardie de 1830, et vient s’asseoir dans la loge d’avant-scène pour écouter Casta Diva. Au cours de cet air, Norma, dans une somptueuse robe bleue style Empire, vient cueillir le gui à la serpe, sur un tronc central en toile peinte. Les druides et Gaulois arborent moustaches fournies et longues barbes – en utilisant les jumelles, on réalise que les poils son collés sur les masques des choristes, ce subterfuge à visées sanitaires étant extrêmement efficace dans la salle. Au cours du second acte, notre XXIe siècle vient ajouter au mélange des époques, quand les machinistes entrent en scène pour pousser les éléments de décors. Ceux-ci sont alors vus en face arrière, avec, sur le praticable, un bureau installé à gauche – on pense au deuxième acte de Tosca – et un lit placé à droite… on ne peut s’empêcher de se figurer le final de La bohème, ou encore celui de Traviata.

Au cours de l’air d’Oroveso du second acte, les costumes des choristes mêlent époque gauloise et Risorgimento. Puis, sur le chœur Guerra, guerra!, un poing rageur est levé contre l’oppresseur, tandis que les lumières se rallument dans la salle. Retour ensuite à l’imagerie gauloise, ses druides et ses forêts, pour la grande scène finale de l’héroïne et son duo avec le Romain. En conclusion, Norma et Pollione ne montent pas précisément sur un bûcher, mais partent vers le fond du plateau pendant que tous les décors s’écroulent et qu’une image de bâtiment en flammes est projetée à l’arrière.

Nous avons écouté les deux distributions en alternance dans le spectacle, avec globalement un niveau supérieur pour le premier cast (vendredi 12 mars) par rapport au deuxième (mercredi 10 mars). Il en va ainsi de la Norma d’Yolanda Auyanet, très crédible, émouvante et dotée d’un bagage technique lui permettant d’alterner les nuances et de faire preuve de souplesse dans les passages d’agilité [lire nos chroniques de Don Carlo, Norma et Robert le diable]. Sa consœur Hibla Gerzmava dispose à l’évidence d’une puissance supérieure, mais sa diction est difficilement compréhensible [lire nos chroniques de La clemenza di Tito et de La bohème]. Elle affirme beaucoup de mordant dans ses premières interventions, mais les passages belcantistes la mettent en difficulté, avec de nombreuses notes escamotées dans la cabalette qui suit Casta Diva. Le mezzo-soprano Clémentine Margaine est une Adalgisa de grande ampleur et d’un timbre fort séduisant [lire nos chroniques de Gloria, La favorite, Le prophète, enfin de Carmen à Paris et à Toulouse], tandis qu’Annalisa Stroppa fait entendre une voix homogène, d’essence davantage belcantiste, mais parfois plus discrète dans le grave [lire nos chroniques d’I puritani et de Nabucco].

Pollione en première distribution, Michael Spyres déçoit légèrement. Grave et médium sont toujours aussi bien nourris, mais le registre le plus aigu est curieusement resserré, ce soir, comme des notes un peu éteintes alors que ce sont celles qu’on souhaite voir briller le plus. John Osborn, l’autre ténor étasunien, semble en meilleure forme. La puissance est certes un peu moindre, mais on admire l’homogénéité de l’instrument, le moelleux de certains passages et la science de la voix mixte [lire nos chroniques de Clari, Les contes d’Hoffmann, Guillaume Tell, L’elisir d’amore et Le prophète]. Avantage à l’Oroveso de la première distribution, soit Roberto Tagliavini qui est une basse puissante et ferme [lire nos chroniques de Lucia di Lammermoor, Il trovatore, La bohème et Manon], mais Fernando Radó tient également son rang avec dignité et autorité. Enfin, dans le rôle de moindre importance de Flavio, nos suffrages vont à Fabián Lara, par rapport à Juan Antonio Sanabria [lire notre chronique de Roberto Devereux]. La Clotilde de Berna Perles assure l’ensemble des représentations [lire notre chronique de La casa de Bernarda Alba].

En fosse, des parois de plexiglas séparent le chef des musiciens, un dispositif lui permettant de tomber le masque. La direction de Marco Armiliato est plutôt rapide dans l’Ouverture, les tutti sont sonores et les cuivres se montrent en tout cas impeccables. Le chef sait aussi varier plus tard tempi et nuances, en étonnant légèrement et nous sortant par moments de nos habitudes d’écoute, même s’il est possible qu’il s’adapte par ailleurs aux capacités belcantistes des solistes en présence [lire nos chroniques du 4 mars 2005, du 5 mai 2006, du 13 décembre 2009, du 18 octobre 2012 et du 4 mai 2019]. La musique dessine pendant toute la soirée un joli relief, un des exemples les plus frappants étant l’entame du second acte aux cordes et aux bois.

IF