Chroniques

par bertrand bolognesi

Orchestre Régional Avignon Provence
Emmanuel Ceysson et Samuel Jean

Opéra Grand Avignon
- 22 novembre 2013
Emmanuel Ceysson joue Dubois et Renié à l'Opéra d'Avignon
© jean-christophe husson

Après quelques (trop) longs mois durant lesquels il ne nous fut pas donné de l’entendre, nous retrouvons ce soir l’Orchestre Lyrique de Région Avignon Provence sous sa nouvelle appellation d’Orchestre Régional Avignon Provence (de même le charmant théâtre qui accueille ce concert a-t-il avantageusement comprimé son nom pour Opéra Grand Avignon). Plutôt que s’appesantir plus encore dans l’interprétation des répertoires les plus courus, selon une démarche que tour à tour, selon le résultat et l’humeur, on pourra qualifier d’approfondissement scrupuleux ou de complaisant rabâchage, la formation provençale s’est lancée dans une passionnante exploration de la musique française. Après la saison passée qui intégrait judicieusement une œuvre d’aujourd’hui à presque tous ses programmes, c’est à faire découvrir des partitions peu connues que s’emploie celle-ci, sous l’impulsion de Philippe Grison, directeur général de l’institution, avec la complicité de Samuel Jean, son premier chef invité.

La soirée est ouverte par la suite de Pelléas et Mélisande Op.80, constituée à partir de la musique de scène composée par Gabriel Fauré en 1898 pour accompagner la pièce éponyme (et ô combien servie par Debussy, Schönberg et Sibelius) de Maurice Maeterlinck. Le concert s’inscrit donc dans un romantisme élargi, pour ainsi dire, qui touche au symbolisme. Dès le Prélude la tendresse des cordes retient l’écoute. Dans l’élan clairement « français » de l’orchestration se laissent encore percevoir quelques discrets souvenirs wagnériens. Le lyrisme est à fleur de peau et l’onctuosité le dispute à une véhémence de bon aloi. Sur son motif effleuré, un peu moins précis, le mouvement suivant est rondement et finement mené, en « course » qui amène la Sicilienne (flûte et harpe) dont la facture rejoint celle des mélodies de salon de Fauré. Une densité plus dramatique s’empare de l’ultime épisode, pour s’achever dans une pudique sécheresse de ton.

Depuis quelques années nous goûtons les soli de harpe qu’Emmanuel Ceysson livre depuis les fosses de Bastille et Garnier ; encore l’entendons-nous rarement soliste – on se souvient de son récital arlésien [lire nos chroniques du 30 octobre 2005 et du 3 octobre 2008]. Le jeune homme gagne prestement la scène et prend place pour une interprétation splendide du Concerto en ut mineur pour harpe et orchestre d’Henriette Renié (1875-1956). Après sa création à Londres, le Pelléas de Fauré connut sa première française en 1901, précisément l’année où la compositrice et harpiste achevait cette œuvre qui allait ouvrir sa carrière mais encore stimuler la naissance d’un nouveau répertoire pour l’instrument.

Après l’ouverture presque épique de l’Allegro risoluto initial par le tutti, Emmanuel Ceysson impose immédiatement une présence poignante qui convoque une dynamique fort expressive. L’impact est infiniment précis, sans en exagérer l’aura, d’ailleurs, et le legato est exquisément tendre. La partie soliste s’engage dans un chemin volontiers redoutable qui paradoxalement révèle un naturel virtuose allant de soi. À l’inquiétude de l’œuvre s’intègre une élégance « bluffante », jusqu’en l’accélération vertigineuse qui précède les dernières mesures. Au début du cantabile de l’Adagio d’ensuite respirer. Si l’orchestre a fait d’indéniables progrès ces derniers temps, ce mouvement désigne qu’il en doit encore faire. L’alerte Scherzo est joué avec beaucoup d’esprit, abandonnant bientôt sa danse dans l’impatience du Finale (Allegro con fuoco) qu’articulent de nombreuses ruptures rythmiques.

À ce concerto – on le dira musique de harpiste qui convoque en parfaite connaissance de cause les effets de son médium sans jamais s’y lover complaisamment [lire notre chronique du 14 janvier 2007] – succède après l’entracte la Fantaisie en ré bémol majeur pour harpe et orchestre de Théodore Dubois (1837-1924) dont la partie soliste fut justement créée en 1903 par Henriette Renié (c’est dire l’idéale cohérence de ce menu). Cette pièce séduisante dont le chant harpistique est lancé par un bref appel de cor, alterne les rôles, le soliste accompagnant parfois le tutti. Les choix de timbres génèrent une rondeur toute particulière de la sonorité générale. Survient une sorte d’hymne, suivie de ses variations au jeu volontiers responsorial. Emmanuel Ceysson ménage une dynamique subtile (le trait en duo avec le premier violon, par exemple), au fil d’une exécution marquée par une énergie vivement partagée.

Comme si deux œuvres concertantes n’y suffisaient pas, le public ne le laisse pas partir. Ne se faisant pas prier, il donne encore deux bis conséquents, puis rappelle avec le sourire que le programme n’est pas fini. De fait, nous entendons encore la Symphonie en la mineur Op.55 n°2 écrite en 1859 par un Camille Saint-Saëns de vingt-quatre ans. Avouons qu’à la suite des charmes Art nouveau des pages de Dubois et Renié, ce retour à une écriture assez formelle sous influence beethovénienne a du mal à percer. À un public cependant enthousiaste Samuel Jean et l’Orchestre Régional Avignon Provence offrent un bis plus approprié : la Pavane en fa # mineur Op.50 de Fauré (1887) ; voilà bouclée la boucle.

BB