Chroniques

par bertrand bolognesi

Orfeo | Orphée
opéra de Claudio Monteverdi

Opéra national du Rhin / Colmar
- 11 juin 2006
L'Orfeo vu par Giorgio Barberio Corsetti pour l'Opéra national du Rhin, à Colmar
© alain kaiser

Après les représentations lilloises et parisiennes, c'est le public d'Alsace qui découvre L'Orfeo de Giorgio Barberio Corsetti. Ce metteur en scène imaginatif s'est principalement penché sur l'impureté définitionnelle du mythe, véhiculant certaines valeurs à travers les siècles, à la fois suffisamment fort pour survivre au temps et ouvert pour s'en nourrir. De ces curieux mélanges et contaminations naissent de divins monstres, en poésie, en peinture comme en musique, dont celui de Monteverdi n'est pas des moindres. Rien de plus naturel, donc, que les tréteaux croisent la vidéo ou qu'un moteur meuve la barque de Charon, et que la fête continue sous les cieux printaniers d'amours sixties qu'anime la relative vitesse d'une Vespa. Le climat reste méditerranéen, la datation nous échappe, les allégories s'y veulent Renaissance, sans oublier trois acrobates inquiétants – Romain Guimard, Domingos Lecomte et Anthony Lefebvre –, tour à tour gentils satyres ou pâtissiers énigmatiques qui semblent veiller à la cristallisation de l'argument. Lorsqu'on aura dit qu'un certain ton habite la scène – de légèreté, d'insouciante camaraderie, de préparatifs sympathiquement fébriles pour les mortels –, on imaginera aisément le contraste des apparitions divines.

Dès le Prologue, un carré noir se dessine sur le catafalque immaculé du cadre de scène. Les images du vidéaste Fabio Iaquone sont projetées sur cet écran, des images qui jamais ne prennent de fonction exclusivement décorative, comme c'est trop souvent le cas dans ces tentatives hybrides. Ainsi dans cet écrin savamment ciselé par la lumière (Giorgio Foti) la voix de la Musique se trouve-t-elle d'autant transcendée par son double disproportionné qui peu à peu envahi le regard à l’enfermer en sa main, invitant à un rituel inattendu. Les interrogations de l'œuvre sautent au visage sans que jamais aucune réponse n'en sourde, laissant à la vie spirituelle ses salvateurs mystères. Ce n'est qu'un début… bref, nous l'avions précédemment constaté avec Le Luthier de Venise de Dazzi [lire notre chronique du 7 octobre 2004] : Giorgio Barberio Corsetti invente des mondes joueurs qui ravissent dans une perspective d'émotion, grâce à une inspiration génialement iconoclaste qu'il sait assurer d'une heuristique qu'on jurerait infaillible.

Poursuivant une collaboration amorcée la saison dernière par Les Boréades de Rameau [lire notre chronique du 18 juin 2005], Emmanuelle Haïm, à la tête de son Concert d'Astrée, dirige un Orfeo quelque peu brouillon, souvent capricieux, en tout cas jamais vraiment précis, qui trouve moyen – au Théâtre Municipal de Colmar dont l'acoustique sertit idéalement les timbres et les voix ! – de couvrir les chanteurs (je dis bien « couvrir »et non« fondre » instruments et voix). Lors de la production citée ci-dessus, les parties de chœur avaient été confiés à une formation de circonstance ; de ce zygote naquit l'idée d'un chœur constitué, de sorte que l'Ensemble Vocal du Concert d'Astrée vit tout récemment le jour, bambin dont le public goûtait aujourd'hui l'équilibre et l'efficacité. À ses forces s'associent celles des Sacqueboutiers de Toulouse.

Cet Orfeo doit beaucoup aux chanteurs à le défendre. Outre que les choix de distribution s'avèrent plutôt heureux, les présences scéniques sont évidentes, les partis-pris de mise en scène assumés par tous, chaque personnage plus attachant que jamais, si brève que soit son rôle écrit, voire sa seule figuration. L'équipe est jeune, ce qui contribue grandement au sympathique impact du spectacle. Autour du couple mythique, incarné par l'agile Kerstin Avemo (Euridice et La Musica) et Michael Slattery (Orfeo), la Messagiera de Renata Pokupić crève l'écran, de même que la richesse de timbre d'Aurelia Legay donne son aura à Proserpina. L'on retrouve avec plaisir l'élégance vocale et la clarté de Finnur Bjarnason [lire notre chronique du 28 mars 2005] en Apollo, incarnant également l'un des trois Pastori, en compagnie de la voix chaudement colorée de Pascal Bertin et des cuivres épicés d'Ed Lyon.

BB