Chroniques

par nicolas munck

Orion
résidence Kaija Saariaho, concert 4

Susanna Mälkki dirige l’Orchestre national de Lyon
Auditorium Maurice Ravel, Lyon
- 17 avril 2014
la cheffe finlandaise Susanna Mälkki joue Orion de Saariaho à Lyon
© kalle koponen

Après le programme entre le cristal et la fumée, nous retrouvons l’Auditorium Maurice Ravelpour le quatrième volet de la série de concerts mettant en lumière l’œuvre concertante et pour grand orchestre de la Finlandaise Kaija Saariaho. En sus de cette saison 2013-2014 qui fait la part belle à la créatrice, soulignons une joyeuse alternance de chefs d’orchestre finnois défendant avec la même ferveur les différents opus de leur compatriote. Suite à Hannu Lintu dans l’adaptation orchestrale de Nymphea [lire notre chronique du 7 novembre 2013] et Jukka-Peka Sarasate dans les Leino Songs [lire notre chronique du 12 décembre 2013], c’est au tour de Susanna Mälkki [lire notre entretien] de prendre la tête de l’Orchestre national de Lyon, le temps d’une soirée. Profitant de la présence exceptionnelle de Kaija Saariaho en ses murs, l’Auditorium propose un avant-concert (les fameuses Clefs d’écoute) pensé sous forme d’entretien public mené avec habileté par le musicologue Philippe Cathé (maître de conférences à la Sorbonne), que nous connaissions plus comme spécialiste de la musique française de 1870 à 1950. L’occasion de revenir, avec l’aide de nombreux exemples musicaux bien choisi et des éclairages de la compositrice, sur la pièce à ce menu : Orion pour grand orchestre (2002).

Après une présentation, à l’aspect un peu panoramique, du contenu motivique convoqué par trois mouvements contrastants, les échanges s’orientent naturellement vers les questions d’orchestration, aspect décidément au cœur du travail de la créatrice. Si nous nous attendions à une entrée par la « métaphore de l’électronique » (sans doute par déformation professionnelle), Kaija Saariaho insiste plus particulièrement sur une approche quasi organique du phénomène sonore dans laquelle chaque pièce est perçue comme à la manière d’une cellule, d’un organisme vivant en constante mutation. Fort active (y compris d’un point de vue métaphorique) dans Nymphea, cette dimension se trouve avec la même efficacité dans Orion. Cependant, et si nous avions été totalement séduits lors du troisième concert par le premier mouvement du diptyque Du cristal…à la fumée [lire notre chronique du 20 mars 2014], première expérience concluante de Saariaho dans le champ du grand orchestre, l’écoute d’Orion nous laisse un peu dubitatifs.

L’artisanat en est bien sûr irréprochable et toujours conduit avec beaucoup d’intelligence, mais le matériau harmonique (plus que dans d’autres pièces) paraît comme faible et neutralisé. Certes, l’écriture pour ce vaste effectif, notamment si elle est polarisée sur le timbre, ne se prête que modérément au déploiement d’un discours harmonique trop caractérisé, mais cette pièce semble ne tenir que par une astucieuse prolifération de motifs et une science orchestrale réelle, peut-être trop omniprésente. Ainsi, cette pièce aiguise sans mal la curiosité de l’oreille, mais ferme les portes d’une approche plus pulsionnelle. Cette impression n’est aucunement liée à la prestation de l’Orchestre national de Lyonqui porte avec précision les complexités multiples de l’œuvre. Étrangement, nous avions trouvé plus d’inventivité et de facultés de renouvèlement dans l’opus Du cristal, pourtant de 1990 (il est probable qu’à les écouter sans signes, nous aurions interverti les dates).

La première partie du concert se prolonge avec le célébrissime Concerto en ré majeur « pour la main gauche » de Maurice Ravel. La bascule de Saariaho vers cette page concertante incontournable est un peu surprenante, mais il était sans doute préférable, pour des raisons de cohérence et de structuration du programme, de l’encercler par deux grandes pièces excédant les vingt minutes. L’impression est un peu mitigée. Si cette version révèle des qualités indiscutables (soli de bois, équilibres, très belles couleurs dans l’introduction), elles pâtissent d’un grand nombre d’imprécisions de mise en place et de justesse qui viennent malheureusement dénaturer l’ensemble. Petite frayeur sur le mouvement de marche (au rythme « à la boléro ») dans lequel la caisse claire (avant le relais de wood-block), censée articuler le solo de trombone avec sourdine, se décale légèrement, ce qui crée une ambiguïté dans la carrure. D’une manière générale, et ce malgré une direction limpide, on y perçoit un orchestre en manque de sérénité. Côté soliste, nous relèverons de cet exercice périlleux le son très homogène de Roger Muraro, dans un phrasé et une articulation de tous les instants. Malgré les inexactitudes susnommées, notons que cette version arrive à maintenir un équilibre toujours optimisé entre orchestre et piano, y compris dans les passages où celui-ci s’y fond dans le registre. Accueilli avec beaucoup de chaleur par le public lyonnais, Roger Muraro prolonge cette course de fond de main gauche par la Pavane de la belle au bois dormant (extrait de Ma mère l’oye), en bis.

La soirée se referme sur la Tondichtung (entre symphonie et poème symphonique) Also sprach Zarathustra Op.30 de Richard Strauss (1896). Cherchant à « illustrer en musique l’évolution de la race humaine, depuis ses origines jusqu’à l’idée nietzschéenne du Surhomme », le compositeur développe une œuvre de près de trente minutes où se croisent inspirations grégoriennes, marche funèbre et principes d’écriture contrapuntique dans un effectif orchestral aux registres étendus. Explorant une large palette des possibilités expressives de l’orchestre, l’œuvre occasionne une nouvelle possibilité à la phalange lyonnaise de donner toute sa mesure. Susanna Mälkki, que nous connaissions moins dans l’interprétation de ce répertoire, en livre une version sensible et rigoureuse.

NM