Chroniques

par gérard corneloup

Orphée et Eurydice
tragédie en musique de Christoph Willibald Gluck (version Hector Berlioz)

Opéra-Théâtre, Saint-Étienne
- 13 juin 2012
Orphée et Eurydice de Gluck à l'Opéra de St-Étienne (photo Cyrille Cauvet)
© cyrille cauvet

Vieux comme la Grèce antique, le mythe orphique a largement inspiré compositeurs et librettistes d’opéra dès les débuts de ce dernier genre, dans la foulée de l’Orfeo de Monteverdi, lequel joua les pionniers en la matière, courant 1607.

Pour sa part, Gluck y revint par deux fois, dans le cadre de la réforme du drama par musica dont il se fit le champion : d’abord à Vienne, en 1762, en langue italienne, avec un castrat chargé du rôle éponyme, ensuite à Paris, en 1774, dans une traduction et adaptation française – la partie chorégraphique y était largement développée – où le rôle-titre fut confié à un ténor. Aussi, quand en 1859 l’Opéra de Paris décida de reprendre l’ouvrage alors un rien passé de mode, le directeur en confia-t-il un complet « relooking » de la partition au leader le plus avant-gardiste de l’école romantique française : Hector Berlioz.

On l’aura compris, qui veut remonter de nos jour cet Orphée-là a l’embarras du choix. En entente avec le Ballet national de Marseille, l’Opéra de Saint-Étienne a décidé de jouer le jeu. On peut même dire de le jouer et de le danser, s’il est vrai que les composantes musicale et dramatique se voient ici adjoindre une composante chorégraphique d’égale importance. Le choc eut pu être inégal, brutal, décalé, encombré pour ne pas dire encombrant ; d’emblée il est au contraire égalitaire, fédérateur, créateur, assurant une osmose parfaite entre scène et fosse, c'est-à-dire chanteurs et danseurs d’un côté, de l’autre l’orchestre mais aussi les chœurs, dont les voix s’envolent des dessous et s’élèvent dans les airs – sans parler du jeu expressif mais retenu des danseurs.

Un homme est à l’origine de cet amalgame précieux : Frédéric Flamand, à la fois chorégraphe et metteur en scène, aimant à travailler sur les rapports entre la danse et l’architecture, compagnon de route des architectes et des plasticiens. Dans un monde concocté par son complice Hans Op De Beeck, autre artiste multidisciplinaire ayant réalisé les décors, les costumes et les (inévitables) images projetées, il raconte une histoire aussi antique que contemporaine, autour d’un pôle central plein d’actualité dans le monde d’aujourd’hui : le regard, celui de l’homme et celui des autres. Le regard défendu comme le regard salvateur, les deux s’affrontant volontiers dans un drame sous-jacent.

Les costumes d’une sobriété intemporelle, les éclairages bien conçus et parfaitement conduits, les rideaux tour à tour « cacheurs » et révélateurs, et même les images, parfois un rien sibyllines autant que « sucrées » – du sucre en morceaux jouant la tour de Babel qui s’écroule sur l’écran –, tout cela semble comme une parfaite projection scénique de l’ouvrage mythique (quoique récent) de l’universitaire Paolo Tortonese : L’œil de Platon et le regard romantique (Éd Kimé, 2006)

L’autre grand gagnant de l’affaire est sans aucun doute le chef Giuseppe Grazioli, parfait dans son rôle de coordonnateur, de stimulateur, de synthétiseur, mieux encore de créateur d’une composante bien peaufinée, ayant parfaitement su travailler la pâte de l’Orchestre symphonique de Saint-Étienne, dans un monde antérieur au répertoire surtout mélodique et belcantiste qu’aborde et défend le plus souvent cette phalange. On peut en dire autant du Chœur lyrique maison.

Le trio vocal est dominé par la musicalité, l’expressivité, la clarté des aigus comme la subtilité des demi-teintes que déploie le jeune mezzo Varduhi Abrahamyan dans le rôle d’Orphée. On ne peut que goûter, aussi, le chant homogène, limpide et bien présent de Blandine Folio dans le rôle de l’Amour, mais que soupirer face à l’hétérogénéité brisant celui du soprano Ingrid Perruche, malheureuse Eurydice dépassée par les événements. Un chant fatigué, tendu et disgracieux, qui apparaît comme un choc constant autant qu’obstiné entre une mezza-voce encore relativement souple et des aigus stridents et carnassiers. Une seule faute note pour ce remarque spectacle… mais de taille.

GC