Chroniques

par bertrand bolognesi

Pelléas et Mélisande
opéra de Claude Debussy

Théâtre des Champs-Élysées, Paris
- 18 juin 2007
Pelléas et Mélisande, opéra de Debussy par Martinoty à Paris
© álvaro yañez

C’est avenue Montaigne que le cycle parisien et printanier des femmes fatales se poursuit, avec la Mélisande sauvagement séduisante de Magdalena Kožená. Plus vocale que bien des incarnations entendues ici et là, le rôle s’affirme ici chanté dans une pâte généreuse, traversée par un lyrisme expressif bienvenu. Ce soir, l’ondine supposée ne balbutie pas. De fait, grâce à la souplesse d’un format autorisant des finasseries sans que s’anémie le timbre, Marie-Nicole Lemieux dote d’un chant gracieusement mené une Geneviève moins effacée qu’on veut bien la rendre habituellement. Le rôle d’Arkel bénéficie d’une même parenté de qualités, le grave charnu et la grande égalité de couleur de Gregory Reinhart faisant florès. Moins évident dans ses premiers pas, Jean-François Lapointe donne un Pelléas solide, voire trop solide ; certes la lumière de l’aigu est magnifiquement amenée, mais les attaques sont parfois heurtées et le registre central souvent appuyé jusqu’à l’engorgement ; cela dit, pour peu français qu’il s’affiche, le baryton est vite attachant et, sans pâlir, unit à une Mélisande de chair un Pelléas de muscle.

Si le médecin de Yuri Kissin s’avère fiable et efficace, les choses se gâtent avec les deux autres protagonistes du drame. Outre que l’on s’accordera à estimer préférable d’employer un soprano garçon pour Yniold, directement crédible, plutôt qu’une jeune femme qui, elle, s’oblige nécessairement à la démonstration, l’on ne comprendra guère qu’on en ait confié la responsabilité à Amel Brahim-Djelloul dont le chant exsangue réjouit comme une brioche d’avant-hier trempée dans un café lyophilisé. Enfin, Laurent Naouri ne s’imposera décidément pas en Golaud. Alors que l’expérience devrait aujourd’hui stabiliser certaines hésitations, le placement vocal demeure immanquablement capricieux, ce qui donne lieux à des approximations parfois méandreuses. Par ailleurs, le chanteur n’est guère avantagé par un éventail dynamique si restreint qu’il l’oblige à ne nuancer que par jeux de contrastes, oscillant sans cesse entre piano détimbré et brutal sforzato. Plutôt que de tâcher de raffiner son chant, l’artiste se complaît à une surenchère théâtrale jusqu’à se commettre en des sanglots véristes : exactement ce que le compositeur eût exécré (rouvrir Monsieur Croche). Un mystère étonne, cependant : la magique suavité d’une phrase a cappella, au dernier acte (« As-tu pitié de moi comme j’ai pitié de toi ? Mélisande, me pardonnes-tu ? »).

Proposant un spectacle chanté en langue française à un public supposé majoritairement français, le Théâtre des Champs-Élysées n’a pas surtitré la représentation. Sur le principe, on l’en félicite, bien que le résultat ne se montre pas systématiquement à la hauteur de cette légitime prétention, la diction n’étant pas toujours au rendez-vous. Yniold onomatopéique, Golaud laborieux, Pelléas plus probant, Mélisande efficace, malgré une origine qui aurait en pu rendre l’effort plus difficile, Arkel souverain et parfaite Geneviève : ainsi décrira-t-on la transmission du livret.

En fosse, Bernard Haitink propose une lecture d’une sobre retenue, distanciant élégamment le drame. Avec minutie, il révèle la délicatesse d’écriture de Debussy, ménage des couleurs chambristes subtilement travaillées où quelques traits solistes miroitent discrètement. Avec lui, les musiciens de l’Orchestre National de France construisent habilement une texture qui garde jalousement ses secrets.

Si l’on est d’abord charmé par la stylisation de l’espace scénique, les projections multiples viennent vite encombrer une mise en scène qui pourrait bien n’avoir pas suffisamment jaugé ses choix. Falaises, tronc enneigé, jetée, rochers, forêt, crique, éboulis, autant d’éléments projetés qui enserrent l’action dans la proximité de Maeterlinck. On apprécie également une direction d’acteurs qui interroge certains rôles. Toutefois, la mise en scène de Jean-Louis Martinoty s’arrête à mi-chemin de ses inspirations. L’esthétique s’y contredit, le danger est absent et, malgré la convocation d’effets assez grossiers – Golaud sacrifiant la chevelure de Mélisande, ou encore s’ouvrant en vain les veines après avoir tué Pelléas –, l’émotion est tenue loin. Deux souvenirs s’imprimeront sans doute dans nos mémoires : la chaleur envoûtante de la scène de la tour et le gel angoissant du dernier tableau où, sur une barque que l’on croit voir avancer vers le couchant, les anciens veillent l’agonie de n’êtrepas heureuse.

BB