Chroniques

par françois cavaillès

Pelléas et Mélisande
opéra de Claude Debussy

Festival d’Aix-en-Provence / Grand Théâtre de Provence
- 16 juillet 2016
Katie Mitchell met en scène Pelléas et Mélisande au Festival d’Aix-en-Provence
© patrick berger / artcomart

Pelléas et Golaud remontant vers la sortie de la grotte, puis faisant face à la mer, ce doit être pour un tel cadeau divin que l'opéra de Debussy resurgit à Aix-en-Provence, laissant au festival, depuis sa dernière production in loco en 1972, la gorge serrée d'émotion. Et s’il n'est toujours pas si facile d'avaler ce chef-d'œuvre lyrique français au goût si singulier, il faut bien, comme en marche pour la grande bleue, se rendre à l'évidente beauté de cette scène portée par des interprètes spécialistes de ce genre de chant bien particulier, les barytons Stéphane Degout (Pelléas) et Laurent Naouri (Golaud), et par l'incroyable habileté du compositeur à nous mettre aux parfums du cœur et de la mer.

Et c'est pourquoi l'on vient voir Pelléas et Mélisande, avec foi, tout d'abord, en ces voix exceptionnelles, réunies par l'étrange conte moderne dans un plateau de grande qualité, encore. Le mezzo Sylvie Brunet-Grupposo, solennelle et gracieuse Geneviève, et la basse Franz-Josef Selig, magistral Arkel, étoffent ainsi les rôles avec grand savoir-faire. Pour l'intensité du jeu d'actrice surtout, la performance du soprano Barbara Hannigan, énergique, voire athlétique dans sa prise du rôle de Mélisande car constamment présente en scène, est aussi à saluer.

Mais le véritable pouvoir addictif de l’ouvrage se concentre, semble-t-il, entre les mains du Philharmonia Orchestra de Londres, dirigé par Esa-Pekka Salonen. Toujours subtil et en plein accord avec le drame humain, soit d'une puissance tranquille, puis alerte, corsé, mais encore sinueux dans les mystères du dernier acte, il émancipe l'art de Debussy de tous risques de sclérose et de mièvrerie.

La mise en scène privilégie les sensations étouffantes en disposant les personnages d'une pièce à l'autre (chambre ou salle à manger), dans une sorte de maison de poupée anglaise, à taille humaine mais sans réelle issue – mieux qu'un grand escalier métallique, une piscine vidée et une antichambre. C'est le monde que Mélisande traverse le temps d'un rêve, un univers contemporain égocentrique, aux costumes et aux lumières mornes. S'appropriant l'histoire avec audace sans en délimiter pour autant une claire interprétation, Katie Mitchell, dont le travail fut maintes fois salué dans nos colonnes [lire nos chroniques du 25 novembre 2012, du 22 avril 2014 et du 25 avril 2016], y multiplie les représentations de Mélisande, actrice et spectatrice de son songe, les pistes théâtrales (parodiques, poétiques, psychodramatiques) et les symboles – par exemple, la jeune fille s'endort au tout début et se réveille à la toute fin dans une robe de mariée. À défaut d'onirisme et de charme, ce spectacle froid, réfléchi et pesant peut mener finalement, avec la mort libératrice de l'héroïne entourée d'hommes sévères, engoncés dans leurs principes, à un sentiment de résignation un peu triste et absurde.

Alors au malaise généralisé sur les scènes, l'écrivaine marseillaise Edmonde Charles-Roux, source éteinte du Festival d'Aix-en-Provence et dédicataire de l'édition 2016, répondrait peut-être par ces mots extraits de son roman Oublier Palerme (Prix Goncourt il y a cinquante ans... et toujours une lecture estivale agréable) : « crier, s'émerveiller devant ce qui porte de façon évidente les signes de la vie – ainsi des poissons, agressivement vifs, arqués, tressautant dans un panier – n'est-ce pas un bon moyen d'échapper à la sombre attirance du malheur, à la volupté de l'évoquer sans cesse ? »

FC