Chroniques

par françois cavaillès

Pelléas et Mélisande
opéra de Claude Debussy

Théâtre municipal Raymond Devos, Tourcoing
- 25 mars 2018
Jean-Claude Malgoire joue Pelléas et Mélisande (1902), opéra de Debussy
© danielle pierre

Des couleurs, du rêve et du théâtre, cette production héroïque de Pelléas et Mélisande n'en manque pas, de retour à Tourcoing au jour exact des cent ans de la mort de Claude Debussy. Selon la mise en scène classique et intelligente de Christian Schiaretti, généreuse en effets visuels afin de bien donner à comprendre l'œuvre, et ce dans un style peut-être proche de Cocteau (comme prémisse de sa Voix humaine à venir ici, dès le mois prochain), les personnages sont en marche en tant que vrais fragments d'humanité à l'assaut du royaume imaginaire où l'amour idéal est pris de force.

Sous un ciel nuageux, par une nuit de pleine lune, devant un arbre mort, le prince Golaud entre en scène en habit rouge vif, une menaçante hache à la main, avec déjà de formidables intonations. Superbe incarnation d'un possible alter ego de Maeterlinck (d'après la brochure de salle), le baryton-basse Alain Buet s'est emparé du personnage central, le menant de la virulence à la sérénité, en passant par le délire et la folie.

L'astre blanchira, le château d'Allemonde rougira et dans la lumière habilement conçue par Julia Grand, d'une vérité dramatique supérieure, verdira l'eau invisible. Le souci de fidélité au théâtre minimaliste original permet la scénographie très créative de Fanny Gamet, à base de draps, de rideaux, de grands panneaux dépeignant en profondeur l'univers poétique évoqué par le livret. La beauté la plus évidente culmine dans les costumes signés Thibaut Welchlin, superbe plongée dans un monde médiéval propre à cet opéra.

Les mystères d'un drame lyrique exceptionnel sont exposés avec clarté dans un geste artistique d'une ampleur et d'une cohérence impressionnantes, sans lésiner, par exemple, sur la longueur des robes, sur la règle d'unité des éléments de ce drame lyrique exceptionnel et, surtout, sur la puissante tension orchestrale. Jean Claude Malgoire dirige la Grande Écurie et la Chambre du Roy selon les intentions si variées de Debussy, comme dans tel fabuleux escalier en colimaçon reliant scènes, visions et impressions.

D'un chef-d’œuvre à nul autre pareil, tant d''interprétations semblent possibles. Autiste, angoissée, amoureuse et repliée, passe l'ange aux quatre visages, Mélisande suscitant plutôt l'incompréhension et la frustration de retenir si peu du formidable soprano de Sabine Devieilhe. L'émoi du jeune Pelléas, vif et autoritaire dans l'imploration, est sensible grâce au baryton Guillaume Andrieux, alors que la basse Renaud Delaigue surprend par une certaine fantaisie, osée pour Arkel, mais encore avec exactitude dans la diction. L'Yniold du soprano Liliana Faraon recèle une personnalité adolescente crédible tandis que Geneviève plaît par l'émission fluide de Salomé Haller. Dans l'ensemble, les rôles sont assumés avec réussite, faisant naître nette émotion, même aux plus brumeux endroits d'Allemonde.

FC