Chroniques

par laurent bergnach

Peter Biloen joue Chostakovitch et Moussorgski
Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon

Corum, Montpellier
- 11 janvier 2013
Peter Biloen joue Chostakovitch et Moussorgski
© chris christodoulou

Décidemment, la huitième ville de France aime la musique de l’Est ! Après avoir soutenu quelques concerti signés Chostakovitch, Rimski-Korsakov, Rachmaninov et Rubinstein l’été dernier, flanqués de La grande Pâque russe et du (trop rare) Lieutenant Kijé [lire nos chroniques des 10 et 12 juillet 2012], l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon invite le public à entendre Moussorgski (1839-1881) et, à nouveau, Chostakovitch (1906-1975).

Tableaux d’une exposition s’inspire d’une série de dix peintures, dessins et aquarelles de Victor Hartmann (1834-1873), architecte et peintre associé au mouvement slavophile, qui fut un des premiers artistes à inclure des motifs traditionnels dans son travail. Lorsqu’il meurt d’un anévrisme à l’aube de la quarantaine, plus de quatre cents de ses œuvres – presque toutes disparues depuis – sont présentées par l'Académie des Beaux-arts à Saint-Pétersbourg, en février et mars 1874. Son ami musicien lui rend hommage avec ce cycle de pièces pour piano écrit peu après, entre juin et juillet.

Très vite, en entier ou non, l’œuvre est arrangée pour l’orchestre – Touchmalov (1891), Wood (1915), Funtek (1922) –, jusqu’à ce que Koussevitzky passe commande à Ravel (1875-1937) d’un travail identique. Comme le rappelle récemment Brigitte François-Sappey [lire notre critique de l’ouvrage], non seulement Ravel est un orchestrateur né, dénonçant les « fautes instrumentales » de Franck et les faiblesses de Debussy, mais il s’affirme sensible à l’euphorie slave qui s’est emparé de la France avec les concerts de l’Exposition universelle – dirigés par Rubinstein (1878), puis Rimski-Korsakov (1889) –, avant même la folie des Ballets. « L’école russe, déclare l’auteur d’À la manière de Borodine (1913), contribua pour une bonne part à l’éclosion de la sensibilité musicale de notre génération ». Délaissant la cinquième Promenade, sa version est créée le 19 octobre 1922.

C’est avec un certain allant, une réserve digne que le Néerlandais Peter Biloen, altiste de formation, ouvre le concert, avant de livrer Gnomus, mystérieux comme un crapaud qui sauterait sous une casquette. Une deuxième Promenade pleine de tendresse et une troisième plutôt énergique encadrent la sensualité méditerranéenne d’Il vecchio castello, à la suavité discrète, porté par un saxophone de toute beauté. Rond et alerte, Tuileries mène au climat plus sombre, voire martial de Bydlo. Suivent ensuite l’espièglerie du Ballet de poussins dans leurs coques, subtilement nuancée, le grésillement grondeur de Samuel Goldenberg et Schmuyle et la cavalcade retenue de Limoges. Sinueux et frémissant, Catacombes tranche avec la vivacité de La cabane sur les pattes de poule. Un rien solennel sans être emphatique, La grande Porte de Kiev clôt le cycle avec force cloches et déchainements de gong.

« J’ai voulu évoquer le combat de l’homme avec son destin et chanter la victoire de l’esprit, obtenue au prix de longs efforts d’un labeur persévérant », confie Chostakovitch à propos de sa Symphonie en ré mineur Op.47 n°5, écrite durant la période de disgrâce qui suit la création de Lady Macbeth de Mzensk (1936) [lire notre critique du DVD]. Il entreprend sa composition entre avril et juillet 1937 et la sous-titre « réponse créative d’un artiste soviétique à de justes critiques ». Dirigée par le jeune Mravinski, elle apporte triomphe et retour en grâce à son créateur, le 21 novembre 1937 – ainsi qu’une lettre de félicitations de Prokofiev, de quinze ans son aîné.

Alors que d’aucuns auraient accentué le climat maussade et inquiet du Moderato initial, Biloen choisit de privilégier clarté et légèreté, en serviteur habitué à la précision des partitions contemporaines (Lutosławski, Cage, Boulez, etc.). On ne trouve ni accentuations excessives, ni contrastes nauséeux qui donnent tout son relief à l’épisode de la « fanfare », sorte de pied de nez au régime communiste et preuve supplémentaire d’une appétence pour la satire. Offrant une danse presque bourgeoise, l’Allegretto fait valser les ricanements qui sourdent d’une boîte à musique déglinguée, avant la longue plage du Largo, désolée mais pas inquiète, qui met à l’honneur les cordes fluides de la formation. On retrouve un rire si peu contenu dans Allegro non troppo que l’on se demande comment Anastasie put ne pas sortir ses ciseaux, cette fois encore…

LB