Chroniques

par bertrand bolognesi

Plamena Mangova, Cédric Dreger et Mihhail Gerts
Cavanna, Chostakovitch et Strauss par l’Orchestre national de Lille

Le Nouveau Siècle, Lille
- 24 février 2016
Plamena Mangova et Cédric Dreger dans le concerto de Chostakovitch à Lille
© go ponte | onl

Trentenaire talentueux, Mihhail Gerts nous vient d’Estonie. En France, on put l’entendre diriger le Philhar’. Aujourd’hui, le jeune chef est directeur musical du Rahvusooper Estonia, à Tallin, où il mène aussi volontiers les représentations lyriques que le ballet. La carrière internationale n’est pas en reste, avec des engagements réguliers à Berlin, Cologne, Leipzig, Minsk, Saint-Pétersbourg et Venise, entre autres. C’est à ses bons soins qu’est confié ce soir l’Orchestre national de Lille.

Directeur du conservatoire de Gennevilliers, en banlieue parisienne, le compositeur Bernard Cavanna a dédié une œuvre à cette ville, la Gennevilliers Symphony (il s’agit cependant d’une commande de l’Orchestre national des Pays de Loire qui la créa sous la battue de Daniel Kawka, au printemps 2007, à Nantes), dont nous entendons deux mouvements (les troisième et cinquième). D’emblée l’on apprécie l’acoustique du Nouveau Siècle, idéale d’équilibre et de définition lorsqu’on la goûte depuis le cœur de la corbeille [lire nos chroniques du 31 janvier 2014, du 11 décembre et du 6 juin 2013]. Archets sur cymbales, pizz’ et harpe, le début du III brouille savamment la nature timbrique, dans une délicatesse inouïe de glaßharmonica. Après un bref vrombissement grave, sur un unisson filé de contrebasses, un trait d’alto solo chante soudain. La mélodie s’impose alors, dans une section qu’on pourrait dire « planante » qui sacrifie aux sirènes de la néotonalité. De même le mouvement final de cet opus s’engouffre-t-il allègrement dans un jazz répétitif peu inventif, honnêtement défendu par les musiciens lillois.

Léningrad (Saint-Pétersbourg), 15 octobre 1933 : au piano, Dmitri Chostakovitch crée, à vingt-cinq ans, son Concerto pour piano, trompette et cordes en ut mineur Op.35 n°1. Nous y retrouvons avec grand plaisir l’excellente Plamena Mangova, magicienne d’un clavier pourtant fatigué, semble-t-il… Cédric Dreger est son partenaire dans cette œuvre contrastée : formé à Strasbourg puis au CNSM de Lyon, le musicien devint dès ses vingt-cinq ans trompettiste solo de l’Orchestre national de Lille. On apprécie la précision de ses interventions, dans l’Allegretto tant joueur qu’inquiet, conclu dans une pompe d’enterrement napolitain. Sorte de valse en surplace, le Lento gagne en tendresse, sous les cordes savamment travaillées et l’inflexion avisée de Mihhail Gerts. Le piano s’y dessine tour à tour moelleux et plus ciselé. Le répons endeuillé de la trompette est saisissant. Sereine cadence de transition, le Moderato va tranquillement son chemin vers le final, Allegro con brio truffé de citations où Mangova se révèle précise, douce et déterminée, une nouvelle fois [lire notre critique du CD Beethoven et Chostakovitch, ainsi que notre chronique du 21 juillet 2011]. La fougue conclusive, sous l’éclat du trompettiste, la jouissive patinoire pianistique et la tonicité du tutti, emporte la salle.

À jeune chef, œuvre de jeune créateur : Richard Strauss écrivit Also sprach Zarathustra Op.30 à trente-deux ans (1896). Loin d’en pontifier la spectaculaire introduction, Gerts la mène droit vers les arrières mondes et sa caresse chambriste, honorablement réalisée. L’exécution se trouve malgré tout plus d’une fois ramenée à d’autres contingences, les cuivres affirmant une petite forme qui interdit toute envolée interprétative. De fait, les approximations des violoncelles laissent penser que le chef eut été plus inspiré de faire travailler chaque trait, pupitre par pupitre, plutôt que de se préoccuper de sa signature personnelle. Las ! Ce moment n’est pas honteux, loin s’en faut : le poème symphonique est bien là, servi par des bois tout à fait probants et un louable premier violon solo, sans oublier une équipe de contrebassistes excellente. S’ils mettent en danger les instrumentistes, les contrastes, dynamiques mais surtout quant aux tempi de chaque épisode, s’avèrent généreusement expressifs. Diriger la musique de Strauss, si touffue, n’est pas chose facile ; gageons que cette baguette s’y entendra mieux encore dans quelques années.

BB