Chroniques

par laurent bergnach

Présences George Benjamin – épisode 1
création mondiale de Toccata de Claire-Mélanie Sinnhuber

Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 7 février 2020
Ouverture Présences 2020 : George Benjamin dirige l'orchestre national de France
© dr

Pour commencer, un grand merci au service Protocole de Radio France qui, palliant le boycott que maintient l’agence de presse associée à la manifestation, a permis à notre média de rendre compte de la trentième édition de Présences. Celle-ci célèbre le compositeur George Benjamin (né le 31 janvier 1960), tout jeune sexagénaire dont une douzaine d’œuvres seront jouées entre les 7 et 16 février. Rappelons que les liens du natif de Londres avec la France remontent à loin, à considérer ses passions d’enfant pour Berlioz et Debussy, jusqu’à celles d’adulte à diriger Pelléas et Mélissande ou à analyser La valse de Ravel, sans oublier les leçons prises avec Olivier Messiaen durant l’adolescence – « j’ai appris de lui cette façon à la fois intellectuelle et émotionnelle de penser la musique » (brochure du festival).

Du résident de Montfort l’Amaury cité ci-dessus, Gérard Pesson (né en 1958) a dit qu’il pourrait le déclarer père spirituel, si nécessaire, « bien qu’il soit tout sauf la figure du père – un frère plutôt : frêle, mystérieux, pudique et grinçant » (brochure du Festival d’Automne à Paris, 2008). Son Ravel en son âme (2013) surprend d’emblée par des éléments que nous n’attendions plus sous la plume généralement économe du compositeur : chair, plénitude, sensualité. Dimensions de tombeau oblige, celui-ci concentre la matière ravélienne de façon aussi furtive qu’éclatante, livrant à notre mémoire des « bribes insolées ou nocturnes » qui forment un portrait foisonnant et nerveux.

C’est à l’époque où Benjamin se perfectionnait au piano auprès d’Yvonne Loriod qu’il rencontra Pierre-Laurent Aimard, resté un ami proche, lequel créa Duet (2008) qui lui est dédié, au Festival de Lucerne. Dans ce concerto, la pianiste Vanessa Benelli Mosell [lire nos chroniques du 12 février 2019 et de son CD Stockhausen/Scriabine] et de s’exprime seule, durant une longue minute, avant qu’un tutti bref vienne l’interrompre. Cela n’annonce pas une lutte pour l’espace sonore avec un orchestre dépourvu de violons – de même que le Double Concerto de Ligeti (1972) –, mais plutôt une pièce équilibrée, avec des cuivres qui imposent leurs ronflements soudains et des cordes graves développant une pulsation pleine de suspense, à l’instar des timbales, parfois. L’aigu du piano et ceux de la harpe percent régulièrement ce tissu d’inquiétude pour laisser filtrer une lumière de plus en plus présente (piccolo, cloches tubes, etc.).

Le piano resté sur scène, Alexandre Tharaud s’y installe, dédicataire de Left, alone (2016) [lire notre chronique du 24 janvier 2018] dont le titre peut laisser deviner qu’il s’agit d’un concerto pour la main gauche. Le Danois Hans Abrahamsen (né en 1952) y développe deux parties de trois mouvements chacune où l’on peine à trouver quelque architecture et la moindre surprise timbrique. Même déception avec Toccata, pièce de Claire-Mélanie Sinnhuber (née en 1973) [lire notre chronique du 24 novembre 2007], donnée en création mondiale après l’entracte. Celle qui s’avoue « en quête de simplicité expressive », pour qui « la légèreté est un idéal » (brochure du festival), offre dix minutes maigrelettes qui jouent un peu sur la réminiscence et beaucoup sur la répétition. On y admire surtout l’aisance de la pianiste italienne déjà rencontrée en première partie de programme, dans une vélocité que la compositrice dit préférer à la virtuosité.

De nouveau à la tête de l’Orchestre national de France en grande forme, George Benjamin dirige Palimpsests (2002) [lire notre chronique du 23 septembre 2005] dont son ami Pierre Boulez créa la version définitive au Barbican Centre (Londres), deux ans après la première version. Fasciné par l’idée de surimpression et d’effacement lié au terme d’origine scriptural qui donne son titre à l’œuvre, le Londonien conçoit « une structure de variation chaotique » (ibid.) À l’instar des premières mesures qui proposent de lyriques clarinettes soudain bousculées par des cuivres incisifs, ce chef-d’œuvre de rythme et de couleur alterne des climax avec des moments plus calmes et dépouillés (deux harpes et un célesta, un cor et des peaux balayées, etc.), mais toujours en adéquation avec le frémissement général.

LB