Chroniques

par bertrand bolognesi

Présences George Benjamin – épisode 5
deux créations mondiales par le London Sinfonietta

Two and six de Trapani – [Re]cycle d’Hudry
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 9 février 2020
deux créations mondiales par le London Sinfonietta
© karl gabor

Dès après le fort beau concert du Trio Catch [lire notre chronique du jour], la trentième édition de Présences, le festival de créations à Radio France, se poursuit avec ce programme donné en l’Auditorium de la maison ronde par le London Sinfonietta, la formation britannique spécialisée qui donnerait son modèle à notre Ensemble Intercontemporain, une dizaine d’années après son invention [lire notre chronique du 24 janvier 2018]. Une pièce du compositeur célébré cette année est au menu [lire notre chronique de la soirée d’ouverture], mais aussi deux opus de son aîné Oliver Knussen (1952-2018) qui encadrent deux premières mondiales signées de musiciens tout juste quarantenaires.

Ainsi ce rendez-vous de fin d’après-midi commence-t-il par Songs without voices Op.26 que Knussen écrivit entre l’automne 1991 et le printemps suivant et dont il dirigea lui-même la création à New York, le 26 avril 1992. Quatre mouvements, sans rapport les uns avec les autres, forment ces chansons pour huit instruments dont on apprécie le raffinement simple, sous la direction claire de Christian Karlsen [photo]. Une passionnante minéralité traverse Winter’s foil, quand Prairie Sunset est dominé par une élégie de violoncelle, délicate et fascinante. Conduite par les vents, First dandelion, la troisième de ces mélodies sans paroles, également aphoristique, est caractérisée par une expressivité immédiate. Enfin, c’est au cor anglais qu’est confiée l’ultime section, Elegiac arabesques, « écrite en apprenant le décès d’Andrzej Panufnik, une personne que j’admirais beaucoup » (brochure de salle). En début de seconde partie, retrouvons la musique de Knussen avec Sonya’s lullaby Op.16, une page conçue pour piano seul en 1978 et dont la version définitive fut créée par Michael Finnissy à Amsterdam, le 6 janvier 1979. Cette berceuse imaginée pendant les insomnies de la fille du compositeur, alors âgée de quatre mois, fut ensuite intégrée à un triptyque dont elle constitue le deuxième panneau. Elle est ici donnée par l’excellent Florent Boffard. Elle captive par la liberté qu’elle développe à partir d’un matériau pourtant restreint – une manière très personnelle qui ne ressemble qu’à elle-même, sorte de surplace d’apparence fermée que solutionne une brève échappée fantasque.

La première des deux créations de ce concert s’appelle Two and Six. Elle a été imaginée pour deux flûtes en sol et deux clarinettes basses, en 2019, en réponse à une commande de Radio France. Son auteur est Christopher Trapani, étasunien d’origine italienne né en 1980 qui, pour le titre de cette œuvre dédiée à Betsy Jolas, s’est inspiré du numéro des « deux lignes du métro parisien qui encerclent la ville en boucle » (ibid.). Quatorze pupitres sont soigneusement installés côte à côte, en arc, où se déploie la partition en un voyage à la fois sonore et physique (donc visuel). Les flûtes commencent à droite, en homorythmie, comme tournant chacune autour de l’autre. Avec un premier pas vers le centre de l’espace survient la dissociation du rythme. La ligne s’enrichit considérablement jusqu’à former un babil partageant une familiarité auto-cultivée. Au milieu du parcours scénique, elles rencontrent les clarinettes. Après une brève partie à quatre, un relais s’effectue dans l’effacement des flûtes à la faveur des sons de clés. Aux suivantes d’alors avancer à deux, lignes indépendantes qui peu à peu se rejoignent, miroir inversé du principe initial de la pièce. Pour finir, les deux duos, placés aux extrémités de l’arc, trouvent une nouvelle terre d’expression, ensemble. Né à Paris en 1978, David Hudry se réalise dans une esthétique très différente qui, avouons-le humblement, aura échappé à notre appréciation. Aussi notre approche se limite-t-elle à relever de [Re]cycle pour ensemble (une quinzaine de musiciens), commande de Radio France pour Présences, avec le soutien du fonds franco-britannique pour la musique contemporaine Diaphonique, le sens de l’effet que vient soutenir un métier certain [lire notre chronique de The forgotten city].

At first light de George Benjamin vient clore ce rendez-vous, brillante page de jeunesse (il a vingt-deux ans) qu’à Londres, sous la battue de Simon Rattle, le London Sinfonietta mettait au monde le 23 septembre 1982. Enthousiaste à la découverte de Norham Castle, Sunrise, toile de William Turner, admirée à la Tate Gallery (c.1845), où le soleil paraît fondre en une image abstraite chaque élément représenté et jusqu’à la choséité picturale elle-même, Benjamin a imaginé cette œuvre, « contemplation de l’aube […], célébration des couleurs et des bruits du lever du jour », en exploration minutieuse du son dans son moindre détail, comme une brûlure du mouvement, pour ainsi dire. De son écriture subtile surgissent des contrastes inattendus dont les inserts de trompette ne sont pas des moindres. Christian Karlsen signe une lecture remarquable de demi-teintes éblouies.

BB