Chroniques

par hervé könig

Prokofiev, Rachmaninov et Ravel
Behzod Abduraimov et Vassili Petrenko

Orchestre Philharmonique de Radio France
Auditorium / Maison de Radio France, Paris
- 16 octobre 2015
le jeune pianiste ouzbèque Behzod Abduraimov joue Prokofiev à Paris
© dr

Il semble que les musiciens du l’Orchestre Philharmonique de Radio France apprécient de travailler sous la direction du jeune Vassili Petrenko. Du moins est-ce le sentiment qu’ils donnent tout au long de ce concert. Un an après le programme Szymanowski et Mahler qu’il dirigeait alors à Pleyel (depuis le très performant auditorium fut inauguré) le chef russe retrouve donc l’une de nos deux phalanges radiosymphoniques [lire notre chronique du 17 octobre 2014].

Ma mère l’Oye fut d’abord conçu pour piano à quatre mains par le génial Ravel. Mais dès l’année suivante, c’est-à-dire en 1911, il en réalisait une brillante orchestration, à laquelle deux séquences viendraient encore s’ajouter pour former un ballet, plus rarement joué. Nous entendons ce soir la version de 1911. La douceur de la Pavane de la belle au bois dormant, sans traîner, révèle tout de suite un très beau travail de couleurs. La musique française sied aussi à notre Russe ! Le Petit Poucet confirme cette première impression, un mouvement qui raconte vraiment une histoire dans l’usage qu’il fait des timbres, avec l’ombre du feuillage sur le sentier et soudain le pépiement des pioupious heureux de picorer les bornes du chemin. Envolée pour le Levant : Laideronette, impératrice des pagodes fait tournoyer les jeux d’eau dans les bosses des gongs, retenant à peine le phrasé de la flûte. Plus mystérieuse encore, la valse lente des Entretiens de la belle et de la bête introduit une narration précise, de la première vision d’horreur aux prémices de tendresse jusqu’au refus puis au miracle : ce mariage-là n’est pas secret, c’est couru d’avance, mais on ne s’en lasse pas. D’un pas digne les amoureux parcourent Le jardin féérique, d’un pas qui va s’appesantissant toujours un peu plus ; un peu trop, il faut le dire. Le final perd ce que l’exécution avait d’enchanté, dommage.

Ébauché dans les mêmes années, le Concerto pour piano en ut majeur Op.26 n°3 de Prokofiev est achevé en 1921, lors d’un séjour du compositeur en Bretagne. Fils d’un physicien et d’une professeure de piano, le jeune Behzod Abduraimov (vingt-cinq ans dimanche dernier) a déjà commencé une carrière internationale et se produit cette saison-ci avec de prestigieuses formations comme le Koninklijk Concertgebouworkest, le Gewandhausorchester Leipzig ou le Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks. La magie est immédiate, dans la brève aria de clarinette et les entrelacs qui la développent, interrompus par les rythmes effrénés de l’Allegro, faisant découvrir un pianiste formidablement inspiré. On ne doutera pas une seconde qu’il aime passionnément cette œuvre. Virtuose, le soliste ouzbèque l’est assurément ! Pourtant, on ne retiendra pas la démonstration technique mais une espèce de laque du toucher qui fait sa signature.

Bien mis en relief par Petrenko, les bois du Philharmonique introduisent l’Andantino où Abduraimov les rejoint par un chant tenu avec sensibilité. L’Allegro final alterne sous ses doigts les caractères de la danse et une peinture plus sombrement contrastée. La parenthèse centrale du mouvement, sorte d’ad libitum partagé, sème l’inquiétude : la poésie est là. Retour de la vigueur percussive pour le dernier trait du concerto. Sur le Steinway, légèrement désaccordé après l’éprouvant Prokofiev, Behzod Abduraimov [translittération anglo-saxonne abusivement admise ; la française dicte Adbouraïmov, bien sûr – ndr] remercie l’enthousiasme de la salle par une Campanella (Liszt) incroyablement nuancée, attirant Paganini dans la veine tsigane la plus élégante. Ce bis prodigieux révèle plus encore le style d’un interprète à suivre de près.

On a souvent conté la triste histoire de la création de la Symphonie en ré mineur Op.13 n°1 de Rachmaninov. Qu’il suffise de rappeler que le compositeur Glazounov, alors au pupitre, était complètement beurré et que la critique s’abattit non pas sur l’ivrogne mais sur le jeune artiste qui s’en remit difficilement. Aujourd’hui, cette œuvre de 1895 n’est pas souvent jouée. C’est une chance de pouvoir l’entendre ce soir dans la lecture très expressive de Vassili Petrenko.

HK