Chroniques

par laurent bergnach

Qu’est-ce que l’amour ?
opéra de chambre de Demian Rudel Rey

YouTube / Théâtre de la Renaissance, Oullins
- 22 février 2022
Qu’est-ce que l’amour ? (2021), opéra de chambre de Demian Rudel Rey
© julie cherki

Argentin d’origine et lyonnais d’adoption, c’est sur le Vieux Continent que Demian Rudel Rey (né en 1987) reçoit les conseils de maîtres qui marquent sa pensée compositionnelle – Philippe Hurel, Martín Matalon, Franck Bedrossian, Yann Robin, José Manuel López López, etc. Il ne méprise pas la mixité, comme le prouve l’opéra de chambre Qu’est-ce que l’amour ? qui mêle musique acoustique et électronique, chant, danse et comédie – un ouvrage inventif enregistré au Théâtre Renaissance (Oullins), le 30 avril 2021, et diffusé en ligne du 5 au 27 février [suivre ce lien].

Approchant une heure et quart, Qu’est-ce que l’amour ? prend appui sur Le banquet de Platon (c.428-c.348), écrit aux alentours de 380 avant J.-C. À l’occasion d’un concours théâtral remporté par lui, le poète Agathon reçoit son amant Pausanias et quelques célébrités dont son confrère Aristophane, le médecin Éryximaque ou encore le jeune Phèdre – protagoniste d’un fameux dialogue platonicien qui porte son nom. Socrate participe également aux festivités, accompagné par son disciple Aristodème. Tous vont exprimer leur conception de l’amour (Éros vulgaire, Éros céleste, etc.), à tour de rôle, en suivant un ordre circulaire qui n’est pas respecté, pour diverses raisons amenant un aspect réaliste à ce qui s’offre comme un témoignage – crise de hoquet d’Aristophane, ou encore irruption d’Alcibiade, ivre de vin et de jalousie. Abordant un texte fort connu, le librettiste Éric Dayre s’autorise « une certaine abstraction », afin de « le défamiliariser sans pour autant le travestir » (notes d’intention). Il sème aussi, croit-on, quelques clins d’œil aux chantres de la modernité poétique (Rimbaud, Baudelaire).

La parole est au centre de l’ouvrage comme au cœur du spectacle. Ce ne sont pas les chanteurs qui dominent la distribution, le soprano Gabrielle Varbetian et le baryton Imanol Iraola qui incarnent à deux voix le personnage d’Agathon – comme une illustration du mythe de l’androgyne développé dans la première demi-heure –, mais bien ceux qui déclament, récitent ou murmurent. Nul besoin de choisir des comédiens pour ce faire puisque les musiciens se chargent chacun d’une partie de la discussion : Sergio Menozzi (clarinettes / Alcibiade), Rémi Tripodi (saxophones / Aristophane), Côme Boutella (tuba / Pausanias), Louis Domallain (percussion / Éryximaque) et Lisa Heute (accordéon / Diotime). Le charisme variant d’un intervenant à l’autre, on peut y voir soit la seule faiblesse de l’opéra, soit une digne communion des différences.

Dans le rôle de Phèdre, on trouve le compositeur lui-même, en évolution singulière au sein de sa propre création, rêvée comme une conférence opératique. Architecte d’une musique globalement flottante et aérée, qui ne cache pas son goût pour les sons synthétiques, il est aussi l’auteur du film projeté en fond de scène. Certaines images, qui jouent sur la déformation des visages, répondent à une certaine loufoquerie de la partition. Trois femmes l’assistent dans ce projet mettant à l’honneur le blanc antique, le doré et l’argent : Rocío Cano Valiño (scénographie, lumière, maquillage), Juliette Müller Kos (mise en scène) et Héloïse Larue (chorégraphie), laquelle incarne un Socrate possédé par la danse.

LB