Chroniques

par gilles charlassier

récital du ténor Yu Shao, accompagné par Hervé N’Kaoua
Beethoven, Cardillo, Duparc, Liszt, Poulenc et Wang

Estivales de musique en Médoc / Château Lascombes, Margaux
- 10 juillet 2019
Le jeune ténor chinois Yu Shao chante aux Estivales de musique en Médoc
© dr

Depuis désormais plus de quinze ans, les Estivales de musique en Médoc conjuguent les muses, l’excellence des jeunes talents et les plaisirs œnologiques d’une des premières régions viticoles de France. Quoique plus concise que d’autres manifestations à budget supérieur, la programmation ne néglige aucun des aspects du répertoire, de l’instrumental à l’orchestre, en passant par la voix. Dans l’édition 2019, Yu Shao, ancien pensionnaire de l’Académie de l’Opéra national de Paris, représente le lyrique, accompagné par Hervé N’Kaoua, directeur artistique du rendez-vous girondin, dans un récital polyglotte passant du Lied allemand à la mélodie française, avec une incursion dans le corpus de son pays natal, la Chine.

Introduite et commentée par Philippe Banel, la soirée s’ouvre sur le cycle An die ferne Geliebte Op.98 de Beethoven. La tessiture de ténor se substitue sans dommage au baryton initialement imaginé par le compositeur. Les numéros s’enchaînent en un lyrisme fluide relayé par un piano délié. Le roulement discret des r dans Auf dem Hügel sitz’ich cherche sans doute une hauteur stylistique dans cette évocation aux teintes annonçant parfois Schumann, avant le voile de Wo die Berge so blau contrastant avec une allégresse plus insouciante dans Leichte Segler in den Höhen. On apprécie l’intensité du quatrième Lied, Diese Wolken in den Höhen, comme celle d’Es kehret der Maien que ne contredira pas le conclusif Nimm sie hin denn, confirmant un bel élan dramaturgique au fil du recueil. Trois sonnets de Pétrarque de Liszt – Benedetto sia’l giorno (n°47), Pace non trovo (n°104) et I’vidi in terra angelici costumi (n°123) – prolonge cette veine élégiaque en langue italienne non dénuée de couleurs, mais aux licences et archaïsmes poétiques pas toujours intuitifs sans traduction, soutenue par une écriture pianistique exigeante et livrée sans faiblesse.

La première partie se referme sur un plongée dans l’Empire du Milieu, non selon quelque stéréotype oriental, mais sous influence du Romantisme occidental. Collectées dans la province très rurale du Xinjiang, au nord-ouest, et arrangées dans les années trente par Luobin Wang, les deux ballades folkloriques, kazakhe et tatare, psalmodient des languissements amoureux sur un canevas économe au clavier, propres à restituer le pastoralisme qui les nourrit. Le soliste sait émonder des idiomatismes parfois gutturaux à nos oreilles européennes pour faire respirer la sincérité touchante de ces pages simples. Les strophes plus contemporaines de C’est moi, qui ne s’égarent pas dans les avant-gardes, résonnent d’une nostalgie évidente. Mais c’est indéniablement la dernière pièce, Le pont, qui marque le plus sûrement la mémoire. Le dessin mélodique, porté par une carrure rythmique enveloppante, assure une empreinte éminemment lyrique que le ténor chinois déploie avec une générosité communicative – au point de servir de bis à la fin du concert.

Après l’entracte, la célèbre chanson populaire napolitaine Core ngrato, écrite en 1911 par Salvatore Cardillo, sur un texte de Riccardo Cordiferro, compte parmi les gourmandises incontournables que tous les ténors ont mises à leur répertoire. Yu Shao ne déroge pas à l’épanchement latin des affects, sans sacrifier néanmoins la noblesse du sentiment. La luminosité du timbre se retrouve dans deux poèmes d’Aragon que Poulenc mit en musique, C et Fêtes galantes. La diction attentive, à peine allophone, ne néglige pas l’ambiguïté morale des paroles, mais s’attache d’abord à une faconde qui sera le signe distinctif des Chemins de l’amour. La facture très légère où pépie le souvenir d’une Yvonne Printemps n’est peut-être pas ce qui met le mieux en valeur le métier de l’interprète, sensible à l’inspiration du morceau mais manifestement plus en situation dans le sérieux intérieur et la ligne nourrie de la Chanson triste de Duparc, où s’épanouissent des moyens authentiquement lyriques. Ce n’est pas la moindre vertu du récital que d’explorer des œuvres et des styles en marge du tropisme central d’une voix.

GC