Chroniques

par bertrand bolognesi

récital Valer Barna Sabadus
« Farinelli, entre autres héros »

Bononcini, Caldara, Händel, Porpora, Predieri et Vivaldi
Innsbrucker Festwochen der Alten Musik / Hofburg, Innsbruck
- 10 août 2019
Le contre-ténor Valer-Barna-Sabadus chante à l'Hofburg d'Innsbruck
© rupert larl

La nouvelle édition de l’Innsbrucker Festwochen der Alten Musik se déploie en plusieurs axes. Quatre concerts entrent en effet dans le cadre de MAX 500, événement qui célèbre les cinq cents ans de la disparition de Maximilien Habsbourg (1459-1519), comte du Tyrol, duc de Styrie, archiduc d’Autriche et souverain du Saint Empire. Une vaste exposition fête ce jubilé à l’Hofburg d’Innsbruck. D’autres aspects du festival sont le compagnonnage avec le Concours Cesti, dont avait lieu avant-hier la dixième vendange, et le programme Barockoper-Jung qui offre à de jeunes chanteurs d’aborder le genre, avec cette fois Ottone d’Händel, donné à partir du 18 août – une coproduction avec les Festival Händel de Göttingen et de Halle. Et en matière d’opéra, cette quarante-troisième édition n’est pas avare, puisqu’au précité s’ajoutent La Dori de Cesti (24 et 26 août) et Merope de Broschi. Cet ouvrage fut écrit pour Farinelli (Carlo Broschi) par son frère Riccardo : c'est donc tout naturellement qu’entre les représentations du dramma per musica se glisse une soirée dédiée au célèbre castrat pugliese.

Un parcours à travers plusieurs arie di bravura est proposé dans la somptueuse Riesensaal de l’Hofburg par le contre-ténor Valer Barna Sabadus que nous découvrions ici-même il y a quelques années [lire notre chronique du 14 août 2012], intitulé Farinelli und andere Helden (Farinelli, entre autres héros), l’héroïsme s’appliquant ici à la maîtrise du bel canto. Un septuor instrumental accompagne et ponctue les moments chantés. Ainsi le récital commence-t-il par la brève Ouverture (Sinfonia en ut majeur) de L’Olimpiade d’Antonio Vivaldi dont le rendu souffre quelque peu de l’acoustique généreuse du lieu, vraisemblablement décuplée par le choix de dispositif (en largeur plutôt qu’en longueur) : la perception des lignes est brouillée, les entrées demeurent floues, dans un halo perpétuel.

La place du présent programme en ce palais va néanmoins de soi, avec nombre de pages conçues pour la famille régnant sur l’Autriche. Cette cohérence parfaite est illustrée par La morte d’Abel d’Antonio Caldara (1670-1737), azione sacra créée à Vienne en 1732, quand le compositeur est au service de Charles VI. Nous entendons l’air Quel buon pastor son io dont il est impossible d’affirmer en quelle langue le voici livré. À l’âge de quinze ans (1720), Farinelli faisait ses débuts à Naples, alors sous domination Habsbourg, dans L’Angelica écrite par Nicola Porpora (1686-1768) pour l’anniversaire de l’impératrice Elisabeth Christine von Braunschweig-Wolfenbüttel. Il y tenait la partie du berger Tirsi dont Valer Barna Sabadus donne Il pie s’allontana sans qu’on en saisisse l’inflexion, l’accentuation ni même le texte. Mayumi Hirasaki et Anna Dmitrieva (violons), Corinna Golomoz (alto), Leonhard Bartussek (violoncelle), Makiko Kurabayashi (basson) et Luca Quintavalle (clavecin) poursuivent avec le Concerto en fa majeur pour violon, violoncelle, cordes et basse continue de Giovanni Bononcini (1670-1747), lequel bénéficie d’une approche mieux éclairée en ce qui concerne les aléas acoustiques : l’Adagio initial trouve désormais une intelligibilité nouvelle, l’Allegro une vigueur dont la tonicité ne subit point d’empâtements superflus, et ainsi de suite jusqu’à la virevolte tout de même un peu embrumée de la Guigue finale. La voix revient pour deux airs de Georg Friedrich Händel, qui concluent la première partie du concert. En 1735, à Londres, c’est le Cusanino qui créa le rôle-titre d’Ariodante – Giovanni Carestini, castrat né la même année que Farinelli. Le célèbre Scherza infida ne satisfait guère, ce soir, avec une sarabande curieusement chaloupée et des aigus heurtés. Retour dans le temps avec le premier opéra que le Saxon produisit à Londres, Rinaldo, en 1711. Le rôle-titre était créé par le Cavalier’ Nicolino, surnom de Nicolò Grimaldi (1673-1732), fameux castrat napolitain de la génération précédente. L’air d’agilité Venti, turbini annonce l’entracte.

Caldara ouvre le second épisode de la soirée, avec la Chaconne en ré mineur issue de son Ifigenia in Aulide, dramma per musica représenté à Venise pour le carnaval 1718, puis repris à Vienne en novembre. Outre l’équilibre qu’impose la partie de luth, on apprécie grandement l’excellente prestation de la bassoniste Makiko Kurabayashi. Valer Barna Sabadus rejoint le groupe pendant les dernières notes. À celle qui avait brillamment donné vie à son Agrippina en décembre 1709, Händel écrivit vingt-cinq ans plus tard le rôle (masculin, donc travesti) de Sesto dans Giulio Cesare in Egitto. Pour l’air de vengeance L’angue offeso, le contre-ténor est désormais sainement reconcentré dans son art. Le sentiment s’en trouve positivement confirmé par Alto Giove, è tua grazia, extrait de Polifemo de Porpora – dans le rôle d’Acis, Farinelli triomphait en 1735 à Londres où le compositeur parut bientôt en rival d’Händel. Alors qu’il appuyait dangereusement sa voix dans la première partie, Valer Barna Sabadus favorise un chant plus léger qui se joue sans problème de l’exigence technique des airs de la seconde. Avec un début de carrière de belle tenue, cet artiste assurément talentueux montre régulièrement des signes d’inégalité, vraisemblablement dus à un manque de confiance en lui qui se manifeste tour à tour par des excès d’esbroufe et des timidités falotes, autant de reflexes qui le desservent, alors qu’il lui suffit d’être lui-même, croyons-nous [lire nos chroniques du 9 juillet 2013, des 22 juillet et 26 novembre 2014, des 22 avril et 16 septembre 2016, des 13 janvier et 14 septembre 2018, enfin du 9 juin 2019].

En guise d’intermezzo strumentale, les musiciens jouent le Concerto en si majeur RV.756/548 de Vivaldi, connu dans une version pour violon et hautbois (RV.548) et une autre pour deux violons (RV.756) : Michael Drücker, le luthiste ici présent, avance que le mot mandolino inscrit sur la partition manuscrite fut biffé plus tard au profit d’oboe, ce qui lui donne à penser que la première intention du compositeur était de dédier cette partie à la mandoline, soit celle d’Anna Maria, son élève préférée à l’Ospadele della Pietà, soit celle du marquis Guido Bentivoglio, comme le renseigne Michaela Krucsay dans la brochure de salle. Toujours est-il que cette mouture est de toute beauté, les cordes pincées imposant un souci d’équilibre qui n’a rien de superflu. Avec le violon alla chitarra et les pizz’ du violoncelle, le Largo central est une bénédiction.

Né à Bologne en 1688, Luca Antonio Predieri fut officiellement maître de chapelle des Habsbourg à Vienne, de 1746 à 1751, un poste qu’il occupait depuis la mort de Johann Fux en 1741 et dont il perçut jusqu’à la fin de ses jours les émoluments (1767). Oublié par la postérité, il écrivit une quinzaine de messes, sept oratorios sacrés et plus de trente titres pour le théâtre lyrique, dont La pace tra la Virtù e la Bellezza donné à Vienne le 1er octobre 1738. Cieco ciascun mi crede est un air assez conséquent de cette festa di camera per musica, dévolu à l’Amour. Le chanteur y fait montre d’une louable souplesse. Il revient à Porpora (hormis les bis händéliens) de conclure, avec l’air Senti il fato, clé de voûte copieusement ornementale de son Polifemo londonien.

BB