Chroniques

par irma foletti

Requiem
spectacle de Romeo Castellucci

Festival d’Aix-en-Provence / Théâtre de l’Archevêché
- 3 juillet 2019
Romeo Castellucci anime le Requiem de Mozart
© pascal victor | artcompress

La pluie s’est invitée au Festival d’Aix-en-Provence, retardant d’une heure le spectacle d’ouverture donné en plein air dans la cour de l’Archevêché. Depuis sa création en 1948, l’événement a conservé sa tradition mozartienne ; son nouveau directeur, Pierre Audi, eut l’idée originale de programmer le Requiem, permettant ainsi de s’écarter des cinq ou six grands titres qui reviennent à l’affiche au cours des années, entre trilogie Da Ponte, Flûte enchantée, Enlèvement au sérail, Idoménée, voire Clémence de Titus.

Confier la réalisation visuelle à Romeo Castellucci est aussi un gage supplémentaire d’originalité. L’artiste italien ne déçoit pas de ce côté-là, prenant en charge, comme le plus souvent, mise en scène, scénographie, costumes et lumières. Le rideau se lève sur une chambre désolée, un lit, une table de nuit, une femme qui fume en regardant la télé. Elle pose une pomme au sol et se met au lit, pendant qu’on entend un chant grégorien anonyme (Christus factus est) par des choristes situés à l’intérieur du bâtiment. L’orchestre entame ensuite Meistermusik K.477B, l’hymne maçonnique composé par Mozart, en lien avec l’ambiance funèbre qui s’installe sur le plateau : quatre hommes portent des drapeaux noirs, d’autres recouvrent l’ensemble du mobilier de draps noirs, comme pour veiller un mort. Le troisième extrait est un Miserere, a cappella, toujours de la main de Mozart, avant le démarrage du Requiem proprement dit.

Le changement d’ambiance est alors radical : on retire les tentures noires et le blanc apparaît, clarté renforcée par le rideau qui se lève complètement, pendant que les choristes dansent en ronde autour d’une jeune femme. C’est aussi le début de la projection en fond de plateau de « l’Atlas des grandes Extinctions », dixit le metteur en scène, composé d’une succession de noms donnés à lire aux spectateurs tout au long de la soirée. Tout y passe, dans un ordre plus ou moins aléatoire, en commençant par les animaux – Diplodocus, Velociraptor, Mammouth, Dogue de Cuba … – puis des lieux, des évènements (Fukushima, Gare de Berlin-Est), beaucoup de noms de tableaux (Caravaggio, Guido Reni, etc.), mais aussi des concepts très divers – Langues éteintes, Religions éteintes, Forteresse de la Bastille, sans oublier La flèche de la cathédrale de Notre-Dame de Paris ni les diverses extinctions de la Montagne Sainte-Victoire, de la Faim, de la Politique, du Rouge, de cette musique ou encore du verbe être.

Après l’Introit et le Kyrie est inséré l’air pour basse et chœur Ne pulvis et cinis, avant le retour au Requiem, un Dies iræ fêté et dansé joyeusement par les choristes, loin de l’atmosphère habituelle du jour de colère. On reste dans le Requiem avec Tuba mirum qui impose aux artistes vocaux une chorégraphie serrée, puis un Rex tremendæ encore plus sautillant, parfois au bord de l’ivresse. La direction musicale de Raphaël Pichon, aux commandes de son ensemble Pygmalion, est généralement rapide pendant la représentation, mais encore plus alerte sur ces passages, avec des nuances staccato pour plusieurs mesures. Nouvelle interruption, le tout jeune garçon Chadi Lazreq joue au football avec un crâne, puis chante le Solfeggio en fa majeur (repris dans la Messe en ut mineur), ce qui est absolument remarquable pour son âge (quoique de nombreux passages sont immanquablement à côté de la note). On ne peut nier la poésie, l’émotion dégagée par cette séquence, mais on ne peut pas affirmer non plus avoir entendu ce soir le Requiem de Mozart, la pièce étant généreusement entrelardée d’apports extérieurs qui rompent la fluidité de l’écoute. La chorégraphie prend davantage d’importance dans le Recordare – des habits et danses, bras en l’air, qu’on pourrait voir en Grèce ou en Turquie – puis dans le Confutatis illustré par une double ronde très gaie. On verse sur une fillette du liquide jaune (huile ou miel ?), puis un autre rouge (du sang ?), tandis que sont apportés des arbres et des sacs de terre.

Après le Lacrimosa, l’appendice Amen – fugue esquissée par Mozart, mais non retenue dans la version de l’œuvre établie par Süßmayr – se conclut par une chute au sol, collective et brutale. S’ensuit un passage sans musique ni paroles, trois hommes nus passent puis stationnent autour d’un feu, d’autres se roulent dans la terre, puis de la peinture est projetée sur la paroi du fond. Plus tard, pour le Benedictus, une voiture accidentée est amenée à l’avant-scène et un ostensoir descend des cintres. Chaque choriste vient stationner devant elle, prenant la pose d’un piéton accidenté, puis va s’allonger au fond. Un nouvel élément étranger au Requiem vient s’insérer : O Gottes Lamm, très beau moment chanté par l’alto Sara Mingardo, timbre d’une richesse et d’une séduction inaltérées après sa longue carrière. Le soprano Siobhan Stagg se montre suffisamment aérienne et élégiaque, alors que le ténor Martin Mitterrutzner et la basse Luca Tittoto font entendre deux voix fermes, stables et bien chantantes. L’Agnus Dei est plus lugubre lorsqu’on recouvre les chanteurs de voiles noirs. Les choristes se déshabillent pendant la communion, la plupart des hommes nus une main en cache-sexe, tandis que les femmes gardent le slip avec un bras replié sur les seins dénudés. On arrache les tentures blanches pour découvrir du noir, dégageant la bande centrale qui recouvre la mention 3 juillet 2019 – avec un petit problème technique, ce qui fait pouffer de nombreux spectateurs. Le plateau se redresse à la verticale, faisant glisser l’ensemble des vêtements et la terre, puis vient un petit chœur post-Requiem, In Paradisum, chanté par le jeune garçon, des vois féminines lui faisant écho à l’intérieur du bâtiment. Des femmes de différents âges entrent en scène, comme après une apocalypse qui pourrait marquer l’extinction de notre planète. Y figurent une maman et son bébé, ce dernier restant seul lorsque le rideau se baisse dans un silence absolu, digne d’un recueillement.

La réalisation visuelle est forte et peut être souvent laissée à l’interprétation du spectateur. Aucun problème non plus pour jouer un pré-Requiem (par exemple l’Ave Verum Corpus est souvent donné), ou bien des extraits post-Requiem, qui passent d’ailleurs bien, mais les nombreuses insertions évoquées plus haut cassent réellement le rythme. La mention d’excellence revient au Chœur Pygmalion qui réalise une performance d’exception, à la fois vocale, artistique, physique, chorégraphique. La qualité des dynamiques, des couleurs, des nuances et la cohésion d’ensemble ne sont jamais mises à mal, malgré les exigences de la mise en scène.

IF