Chroniques

par bertrand bolognesi

Requiem de Mozart par Rani Calderón
ouverture de la saison symphonique nancéienne

Anaïs Constans, Aline Martin, Airam Hernández, Krzysztof Bączyk
Opéra national de Lorraine, Nancy
- 13 octobre 2016
Rani Calderón ouvre la saison 2016/17 avec le Requiem de Mozart
© opéra national de lorraine

Si la saison de l’Opéra national de Lorraine compte six productions, dont quatre nouvelles – Ariadne auf Naxos en juin, Semiramide en mai, Золотой Петушок en mars et le couplé L’heure espagnole et Gianni Schicchi qui l’ouvrait il y a quelques jours –, encore présente-t-elle rien moins que huit rendez-vous avec l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy. Bien que coutume soit prise par la formation de se produire à Poirel, la salle construite par Jasson à la fin du XIXe siècle, c’est au beau théâtre d’Hornecker d’accueillir le premier d’entre eux [lire notre dossier sur l’édifice] : le geste est symbolique, les forces vives de la maison se retrouvant toutes ce soir sur son plateau, pour la première fois en situation concertante.

Devant le décor de Schicchi [lire notre chronique du 2 octobre 2016], l’orchestre prend place pour la Symphonie en ré majeur Hob.I: 104 dite « Londres » et son Adagio inaugural, grand genre, hérité des habitus baroques, que Rani Calderón laisse respirer dans une certaine crudité. Puis il engage le mouvement, Allegro, non sans lest mais encore avec quelque robustesse. Tout juste le ton pourra-t-il sembler un rien trop sérieux, mais cet esprit inimitable d’Haydn ne s’en ombragera pas même. Le climat expressif véhicule une inquiétude relativisée par l’urgence toute opératique de cette lecture. Agrémenté d’une tendresse délicate et mouillée, l’Andante s’amorce avec bonheur. L’on y remarque des violoncelles en net progrès, mais surtout les traits solistiques fort bien servis par Sylvie Villedary (basson) et Gaspar Hoyos (flûte). Après la brève tourmente tragique, la reprise du thème s’agrémente de variantes déflagrantes qu’on dira expérimentales – étonnant, toujours, Haydn : nous sommes en 1795, l’année de l’opus 19 d’un Beethoven de vingt-cinq ans, dont sourdent ici les sur-places. Après un Menuet tonique mais sans raideur, avec ses ludiques suspensions qui font la signature du maître et son trio médian aux entrelacs faussement simples, la danse pastorale, Spiritoso conclusif rigoureusement en place, bondit dans une accentuation à laquelle le chef instille une franchise décidément plus beethovénienne encore.

Après l’entracte, quatre solistes et le Chœur de l’Opéra national de Lorraine gagnent la scène. Dans l’amble doloriste des cordes et de la clarinette, ses artistes font sonner l’aeternam du Requiem en ré mineur K.626 de Mozart. Dans un train d’enfer s’enchaîne un Kyrie d’une prestesse venue tout droit des interprétations baroqueuses – à une telle vitesse, on s’étonne même de l’inoxydable fiabilité des trombones. Vérifiant le même impératif, c’est un Dies irae enflammé que donne Rani Calderón dont, dûment préparées par Merion Powell, les voix proclament la fracassante épouvante. Avec Tuba mirum vient le moment d’évaluer plus précisément le quatuor vocal : l’instabilité du soprano (Quid sum miser), le timbre terne et l’affectation du mezzo (Judex ergo sum) font la part belle à un ténor lumineux (Mors stupebit), quand la basse affirme autant d’autorité que de cuivre. La masse chorale revient en force dans un Rex tremendae sans doute trop simple, avec son Salva me sans mystère. À l’inverse, la douceur de l’introduction instrumentale de Recordare invite à méditer le texte latin, surtout avec un duo mezzo-basse si efficace. Ici, le quatuor se bonifie. Le directeur musical de la maison situe cette séquence dans la suite des ensembles scéniques de Mozart. En toute logique, un tempo d’effroi domine les premiers temps du Confutatis, contrastant bientôt dans la pieuse supplication.

La main du compositeur s’est arrêtée sur un Lacrimosa dramatiquement égrené auquel cette lecture donne un jour violent. Péché d’enthousiasme, semble-t-il, de même que la ferveur artistique qui rend imprécis le départ choral de Domine Jesu, la baguette récupérant au mieux les pupitres jusqu’à tracer le bon chemin. De fait, trois des solistes ne se montrent pas au mieux de leurs capacités, vraisemblablement préoccupés par le tactus. Aussi la fluidité d’Hostias agit-elle comme un baume magique – ô miracle, la reprise de « quam oli Abrahae » se fait, cette fois, en parfaite cohésion. Après un Sanctus presque tapageur, dont la fugue s’envole dans une joie subitement hébéphrène (Hosanna), le Benedictus va son pas, un peu surcuit par des interventions féminines peu sûres. Félicitons, en revanche, les cuivres de l’orchestre pour la saine salve de l’Hosanna. Un recueillement nouveau infléchit Agnus Dei, des mieux tenus. Le retour (d’abord en majeur) du motif initial offre à Lux aeterna une sérénité universelle et laïque, quand les accents du Kyrie, déplacés dans le Requiem, indiquent l’épuisement de la boucle – un final en vitrine dont la terminologie en vigueur dirait qu’il est « fédérateur ».

Nous connaissions l’art de Rani Calderón dans le domaine lyrique [lire nos chroniques du 27 avril 2010, du 22 février 2011, du 6 février 2015, du 31 mars 2016, du 3 mai 2016 et du 14 juin 2016], c’est avec grand plaisir que nous le découvrons au concert. Bravo au Chœur, à la basse Krzysztof Bączyk et, bien sûr, à l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy qui, avec la Symphonie en si bémol majeur Op.19 n°2 de Szymanowski, prépare une soirée passionnante (les 10 et 11 novembre).

BB