Chroniques

par gilles charlassier

Rinaldo | Renaud
opera seria de Georg Friedrich Händel

ANO / Théâtre Graslin, Nantes
- 24 janvier 2017
Bertrand Cuiller joue Rinaldo de Händel, avec Paul-Antoine Bénos en rôle-titre
© jef rabillon | angers nantes opéra

Après une tournée en 2017 avec les Concertos Brandebourgeois et, entre autres, une escale obligée à Royaumont où ils étaient en résidence depuis 2014 [lire notre chronique du 30 septembre 2017], Bertrand Cuiller et son ensemble Le Caravansérail initient cette année une nouvelle tournée avec un Rinaldo d’Händel, mis en scène par Claire Dancoisne et produit par la co[opéra]tive, un collectif de scènes nationales (Quimper, Dunkerque, Besançon et Compiègne) non spécifiquement dédiées à l'opéra qui mutualisent leurs moyens pour créer et diffuser des spectacles lyriques. Une semaine après une première dans le Finistère, l'ouvrage händélien est à l'affiche d'Angers Nantes Opéra (ANO) dont les ateliers ont, par ailleurs, réalisé les costumes d'Elisabeth de Sauversac.

Relativement en marge des grosses machines, fussent-elles minimalistes – l'embonpoint financier du monde opératique ne se limite plus depuis longtemps au seul décorum scénographique –, le présent projet fait l'économie de la débauche d'effets à laquelle était biberonnée l'opera seria, en particulier italien, au XVIIIe siècle, et dont le livret d'Aaron Hill et Giacomo Rossi, inspiré de la Gerusalemme liberata du Tasse, témoigne avec éloquence par ses péripéties hautes en couleurs et en fantasmagories, placées sous le sceau des passions amoureuses et guerrières.

Sans renoncer au fantastique, le travail de Claire Dancoisne privilégie l'agilité des ficelles et des marionnettes, qui font partie de son vocabulaire théâtral depuis trois décennies, pour narrer les prodiges de magie et de bravoure nourrissant l'intrigue. Revendiquée dans la brochure de salle, l'influence visuelle de Bosch se décèle essentiellement dans l'empire d'Armide, juchée sur un char à tête de lamproie avant de s'enfermer dans un arachnide de métal, plus que dans les rapiècements flamboyants du vestiaire ou la ferblanterie de petits soldats. La tératogenèse des visages des pantins et des masques rappellerait plutôt l'univers d'Ensor tombé dans la tambouille de quelque Casse-Noisette. La sympathique hétérogénéité censément baroque du dispositif se trouve rehaussée par la poésie des lumières réglées par Hervé Gary, modulant les affects et l'expressivité des atmosphères mieux que les artifices de jeu stéréotypés au delà du dessein.

Le calibrage des moyens s'entend également dans la réalisation musicale. Non dans l'engagement de la fosse, dont Bertrand Cuiller équilibre la justesse et laisse s'épanouir les couleurs et l'instinct stylistique, jusque dans des ornementations intelligentes, inventives sans exhibitionnisme, mais dans la durée de l'ouvrage, réduite à deux heures trente, entracte inclus. Le premier acte ne souffre guère d'ellipses et déploie une belle efficacité, tant dans la fluidité de la partition que la logique dramatique. La seconde partie condense plus nettement une action qui s'empresse vers son heureux dénouement, épargnant au spectateur les longueurs d'un texte qui ne retiendrait pas nécessairement son attention – entre le relief de la dialectique théâtrale et la patience du public, il faut parfois choisir.

Dans le rôle-titre, Paul-Antoine Bénos démontre une indéniable connaissance de l'idiome du héros, équilibrant sa caractérisation entre la vaillance et le sentiment amoureux, entre le mâle éclat et la tendresse féminine. On suivra les promesses de ce jeune contre-ténor français. En Goffredo, Lucile Richardot affirme un métier qui n'a plus à faire ses preuves et puise dans les ressources de son timbre d'alto les aspérités pour révéler l'impétuosité virile du chef de guerre. Emmanuelle de Negri offre une séduisante Almirena, conjuguant fraîcheur et rondeur homogène de l'émission. L'Armida d'Aurore Boucher affiche un visage féminin plus vindicatif et une présence certaine que partage Thomas Dolié en Argante, avec ce qu'il faut de rocaille pour le stratège retors. Mentionnons pour finir les deux comédiens, Gaëlle Fraysse et Nicolas Cornille, qui complètent le plateau avec leurs figurations.

GC