Chroniques

par bertrand bolognesi

Robert Schumann | Szenen aus Goethes Faust WoO 3
Orchestre Philharmonique de Budapest, Michael Schønwandt

Faust225 / Magyar Állami Operaház, Budapest
- 1er juin 2015
Concert de cloture du festival Faust225 à l'Opéra d'État de Budapest (2015)
© péter rákossy

C’est par la plus théâtrale des partitions imaginées à partir du fameux ouvrage de Goethe que le 17 mai s’ouvrait le passionnant Festival Faust225 proposé par l’Opéra national Hongrois (Magyar Állami Operaház), ce Faust de Charles Gounod (1859) dont nos pages vous parlaient hier [lire notre chronique de la veille]. Après deux semaines de représentations, une œuvre atypique, oratorio profane composé par Robert Schumann de 1844 à 1853 (publié une première fois avec accompagnement de piano en 1858, créé en janvier 1862 à Cologne, enfin publié à Leipzig en 1865 dans sa version d’orchestre) vient couronner l’événement : Szenen aus Goethes Faust. Le public peut donc revenir au texte inspirateur, devant un plateau dépouillé de tout décor et entièrement dévolu aux moyens nécessaires à l’exécution musicale.

Si la soirée nous fait retrouver les enfants choristes de l’avenue Andrássy – excellent Magyar Állami Operaház Gyermekkara, dirigé par Gyöngyvér Gupcsó, que nous entendions jeudi [lire notre chronique du 28 mai 2015] – et quelques-unes des voix de la troupe de la maison pestoise, s’y ajoutent les forces du Chœur National – Nemzeti Énekkar dirigé par Mátyás Antal. L’exemplaire fiabilité et l’extrême musicalité de l’interprétation chorale sont à marquer d’une croix blanche, assurément ! On en goûte tant la vaillance que l’à-propos dynamique, à travers des attaques souvent moelleuses, une construction infiniment nuancée, y compris pour le chœur d’enfants, simplement parfait. La tendre intervention conclusive, Alles Vergängliche ist nur ein Gleichnis, est une merveille de recueillement.

Ce concert de clôture est joué par le Budapesti Filharmóniai Társaság Zenekara (Orchestre Philharmonique de Budapest), confié par Pinchas Steinberg, son nouveau directeur, aux bons soins de Michael Schønwandt. La précieuse qualité de cette formation se confirme dès l’Ouverture dont les traits solistiques captent immédiatement l’écoute, mais encore la soie des cordes, remarquables [lire notre chronique du 17 avril 2015]. Par la suite, les soli de violoncelle et de clarinette séduiront à leur tour, de même qu’un pupitre d’altos proprement admirable. Quoiqu’elle chante adroitement l’orchestration, il manque à la lecture du chef danois cette ognette bienheureuse qui lui vaudrait un dessin plus subtil. À la faveur d’une souplesse un rien débraillée, toute la première partie de l’oratorio manque singulièrement de colonne vertébrale. Cette curieuse mollesse de l’inflexion générale sera abandonnée au milieu de la partie centrale, avantageant pour finir une vision à la fois plus tonique et mieux sertie. La concentration des ultimes épisodes s’élève enfin vers une véritable transfiguration, annonciatrice des extases de la Huitième de Mahler (1907).

Un octuor vocal de choix sert d’un franc engagement artistique ces Scènes de Faust. Des mezzo-sopranos, le timbre sombre de Kornélia Bakos interroge la profondeur des évocations schumaniennes quand les éclaircie la précision de Szilvia Vörös, du bel art qu’on lui connaît [lire nos chroniques de la veille et du 9 juillet 2014]. Parmi les sopranos, la saine émission d’Eszter Zavaros enlève un chant facile, la délicatesse du phrasé de Letizia Scherrer porte une Gretchen charmante au style idéal, Zita Váradi réservant à ses interventions une onctuosité généreusement rassérénante. Trois messieurs sont convoqués par le compositeur dont l’écriture ne ménage pas les moyens, il faut l’avouer. Le timbre corsé d’István Kovács, basse élégante au grain robuste, « occupe » avantageusement sa partie. Applaudi au MUPA il y a trois ans en Walter [lire notre chronique du 3 juin 2012], Tibor Szappanos donne sa pleine mesure en Faust, ténor lumineux à l’impact sainement contrôlé, qui mène adroitement sa ligne vocale dans la nuance. Enfin, le baryton-basse Jochen Kupfer se sort avec les honneurs des multiples embûches semées par la partition – Schumann semble s’être ingénié à attaquer la phrase dans les limites extrêmes de la tessiture et à heurter la ligne par un chemin d’intervalles fort disjoints. La rondeur de l’organe et la fine intelligence du texte convainquent d’emblée, mais encore dans le fameux air dont on sait qu’il ne pardonne pas : Schumann a tordu la voix, mais ce faisant Jochen Kupfer nous tord souverainement le cœur – bravo !

Et voilà, Faust225 s’achève en beauté. Le Magyar Állami Operaház consacrera la prochaine édition (fort développée) de son festival sur William Shakespeare, disparu le 23 avril 1616, il y aura donc quatre cent ans : l’occasion de voir Otello et Macbeth de Verdi, bien sûr, ou son Falstaff mis en regard avec Die lustigen Weiber von Windsor de Nicolai, mais encore des ouvrages nettement plus rares comme Sly de Wolf-Ferrari, A Midsummer night’s dream de Britten, Das Liebesverbot de Wagner, The Tempest d’Adès, Lear de Reimann et Hamlet de Szokolay, un mini-festival Romeo and Juliet trouvant ancrage dans cette vaste programmation avec I Capuleti et i Montecchi (Bellini), Roméo et Juliette (Gounod) et West Side Story (Bernstein), tandis que la tradition de la maison de produire un opéra baroque pour clore chaque saison s’inscrira pour la première fois dans ce Shakespeare400+ avec The Fairy Queen de Purcell – dix-sept rendez-vous différents, vingt-neuf représentations, en quatre lieux différents, du 17 mai au 2 juin 2016. Voilà qui promet !

BB