Chroniques

par katy oberlé

Rodrigo | Rodéric
opéra de Georg Friedrich Händel

Internationale Händel Festspiele / Deutsche Theater, Göttingen
- 19 mai 2019
Walter Sutcliffe met en scène "Rodrigo" à l'Händel Festspiele de Göttingen
© alciro theodoro da silva

L’Allemagne compte trois festivals dédiés à l’immense Georg Friedrich Händel : Halle, sa ville natale [lire nos chroniques d’Imeneo, Teseo et Deidamia], Karlsruhe [lire nos chroniques de Semele, Arminio, Dixit Dominus, Alcina et du récital Anna Bonitatibus] et Göttingen [lire notre chronique de Lotario]. Nous retrouvons aujourd’hui le Deutsche Theater où la quatre-vingt-dix-neuvième édition de l’Internationale Händel Festspiele, ouverte avant-hier, propose une nouvelle production de Rodrigo, premier ouvrage italien du Saxon, conçu en 1707 pour Florence et dont le titre original est Vincer se stesso è la maggior vittoria (Se vaincre soi-même est maximale victoire). Il nous plonge dans l’histoire de l’ultime roi wisigoth d’Espagne, Rodéric, inaugurant l’admirable verve händélienne qui intrique avec superbe amour et pouvoir.

Pour cette première apparition de Rodrigo au festival, l’accent est mis sur la désintégration du royaume par la scénographie impressionnante de Dorota Karolczak – un palais délabré au plafond précaire dont le grand lustre s’effondre. Les protagonistes sont prisonniers de cette splendeur passée dont la dégradation se poursuit au fil de la représentation. Le metteur en scène Walter Sutcliffe insiste sur le mauvais état mental du prince et de son entourage, reflété par ce décor à l’intemporalité suggestive : sans qu’il s’agisse à proprement parler d’une actualisation ou d’une transposition, c’est d’abord notre temps que son travail interroge, avec des amours réduites à d’insignifiantes aventures sexuelles, l’omniprésence des ambitieuses passions d’égos surdimensionnés, volontiers traversée par le désir de vengeance, qui mine toute maîtrise politique, enfin les effluves alcooliques brouille l’espoir. Pourtant, la raison et la bonté auront le dernier mot, annoncé par la lumière miraculeuse de Susanne Reinhardt depuis le lever de rideau.

Cette partition d’un musicien de vingt-trois ans plus que talentueux est loyalement servie par les forces du FestspielOrchester Göttingen, menées avec sensibilité mais aussi brio par l’excellent Laurence Cummings [lire notre chronique de Lucio Silla]. Le chef anglais, qui dirige le festival depuis 2011, s’évertue à révéler les trésors qui se cachent dans les passages chambristes de l’œuvre, tout en soufflant la folie nécessaire aux élans symphoniques.

Un sextuor vocal de bon niveau incarne idéalement les personnages, quelle que soit l’importance de chaque rôle. Le général wisigoth Fernando est tenu par le jeune contre-ténor Leandro Marziotte dont l’émission extrêmement précise et le timbre ambré sont vraiment intéressants. La suavité du ténor de Jorge Navarro Colorado confère à la partie grave de Giuliano, le frère de Florinda, une souplesse remarquable. La furieuse Florinda, ennemie de l’épouse royale, trouve dans le soprano mordant d’Anna Dennis de parfaits moyens expressifs, jamais au détriment d’une couleur chaleureuse, de toute beauté. Dans la version originale, Evanco, le roi d’Aragon, était attribué à un soprano : les maîtres d’œuvre de cette production ont judicieusement décidé d’engager un sopraniste masculin qui s’en charge avec adresse et virtuosité. Russell Harcourt possède un impact presque insolent qui triomphe dans des récitatifs assez développés et dans des colorature époustouflantes. Applaudie dans Thanks to my eyes d’Oscar Bianchi [lire notre chronique du 8 juillet 2011], Fflur Wyn offre un soprano généreux et un chant magistralement respiré à la reine Esilena. Le travail de la nuance est plus que convainquant. Enfin, le rôle-titre, écrit pour castrat – il a été créé par Stefano Frilli (1664-1744) – est confié à un soprano puissant : on découvre en Erica Eloff une voix malléable et expressive, ainsi qu’une actrice accomplie. Que demander de mieux ? On quitte la salle enchanté.

KO