Chroniques

par bertrand bolognesi

Rusalka
opéra d’Antonín Dvořák

Opéra national de Lorraine / Nancy
- 30 septembre 2010
Rusalka, opéra d’Antonín Dvořák, donné à Nancy
© opéra national de lorraine

La nouvelle saison de la maison nancéienne se distingue en affichant une œuvre encore rare sur nos scènes : la Rusalka qu'Antonín Dvořák conçut au passage du siècle, et qui fut créée à Prague au printemps 1901, trois ans avant la disparition de son auteur. On ne pourra que se réjouir d'une initiative courageuse à plus d'un titre : ouvrage qui fit ses premiers pas français il y a seulement vingt-huit ans (Marseille), partition chantée en langue tchèque, argument trouvant sa source dans une somme légendaire empruntant à un inconscient collectif qui n'est ni celui du public ni celui du metteur en scène, enfin intrigue colorée de fantastique particulièrement complexe à représenter sur une scène. Encore aurait-il fallu pouvoir honorer dignement cet opéra, ce qui n’est pas le cas de cette première d'une série de cinq représentations.

L'insuffisance de la distribution ne garantit guère la réussite. Certes, les deux puissants esprits Vodník et Ježibaba sont ici habités par des voix généreusement puissantes dont l'opulence en décibels ne saurait suffire seule à servir la partition. Chez tous deux se font ressentir les mêmes difficultés à entrer dans la note, une cruelle carence de toute nuance, une émission facile mais lâche et un timbre fatigué. Si Lenka Šmídová accuse un haut-médium incertain et, surtout, un aigu improbable, Andrew Greenan vocifère joyeusement dans une constante autant que vertigineuse instabilité de l'intonation. En revanche, les seconds rôles s'avèrent corrects, des trois Esprits de la forêt (Khatouna Gedelia, Yun Jung Choi et Silvia de La Muela), formant un trio idéalement équilibré, à l'excellent Garçon de cuisine de Blandine Staskiewicz et au Garde forestier (aussi Chasseur) de l'irréprochable Igor Gnidii.

Égale à elle-même, Hedwig Fassbender est une Princesse convaincante, tandis qu'Inna Los déçoit dans le rôle-titre parvient aisément à libérer des harmoniques chatoyantes dans l'aigu, bien que sa voix se pare d'une teinte riche, assez sombre. Qu'est-ce qui ne va pas, alors ? La conduite du chant, d'abord, qui fait soigneusement la part belle aux morceaux de bravoure, d'ailleurs engagés avec force manières, mais néglige tout le reste, ce qui nuit gravement à la cohérence du personnage ; la présence scénique, ensuite, plutôt falote.

Fort heureusement, un chanteur retient l'oreille : le ténor slovaque Ludovit Ludha campe vaillamment le rôle du Prince. Parfaitement homogène, la tessiture affirme un aigu lumineux, un médium magnifiquement cuivré et un grave présent dont la sensibilité de l'artiste use avantageusement par un phrasé toujours somptueusement mené, proprement musical.

Sur le chapitre du rendez-vous manqué, la fosse n'est pas en reste.
Outre de nombreux cafouillages de la part des cuivres, malgré des bois non seulement fiables mais délicats, la lecture de l'Orchestre symphonique et lyrique de Nancy se révèle particulièrement entravée par des cordes extrêmement imprécises. De fait, les premières mesures flirtent avec la catastrophe, et si un certain souffle dans la direction, par ailleurs assez terne, de Christian Arming relève le niveau par la suite, encore est-ce sans masquer les fâcheuses approximations des seconds violons – et surtout des violoncelles ! Avec plaisir nous signalions, depuis trois ans, le niveau en perpétuel progrès de cette formation : le surprenant laisser-aller de ce soir fait mentir nos précédentes chroniques. Quant à lui, le Chœur de l'Opéra national de Lorraine assure une prestation qui tient la route, sans plus.

Cette coproduction avec l'Opéra national de Montpellier était confiée à Jim Lucassen qui place sa mise en scène au Muséum d'Histoire naturelle, ce qui témoigne d'une certaine réflexion menée sur l'œuvre, cependant limitée à son inspiration du récit d'Andersen. N'aurait-il pas été souhaitable de s'interroger sur le ferment où puisa le conteur danois ? Maladroitement, la salle du musée n'offre qu'un cadre, s'appuyant sur l'idée d'un passé qui survivrait en des lieux précis, codés comme tels, de la société contemporaine. Ainsi Rusalka apparaît-elle dans une niche de plantes exotiques, tableau végétal superbement esthétique (Lucassen signe également les décors), les vitrines d'animaux disparus servent à Ježibaba les victimes nécessaires à ses incantations, etc. Imaginer qu'une vie surnaturelle surgisse dès que le musée ferme, avec la nuit, n'est pas sans séduire mais ne parvient pas à raconter autre chose qu'une anecdote parmi d'autres. Les rôles se déplacent, bien sûr : Ježibaba se fait terribles conservatrice hoquetant de ses incommensurables cabotinages, et ainsi de suite. L'immense carcasse préhistorique qui encombre l'acte final ne surprend pas mais, bien plutôt, rétrécie l'imaginaire. Nous le disions en préambule : Rusalka n'est peut-être pas « montable », tout simplement, d'une manière ou d'une autre.

BB