Chroniques

par gilles charlassier

Samy Moussa | Crimson (2015)
Concerto n°2 Sz.112 de Bartók par Nicolas Dautricourt

Fabien Gabel dirige l'Orchestre Français des Jeunes
Le Nouveau Siècle, Lille
- 7 septembre 2018
L'Orchestre Français des Jeunes joue "Crismon" du jeune Samy Moussa
© dr

Créé en 1982 par le Ministère de la culture, l'Orchestre Français des Jeunes (OFJ) offre à une centaine d'étudiants venus des conservatoires et écoles de musique du pays l'opportunité d'une immersion professionnelle, avec des chefs reconnus. S'il y a une session en hiver ou au printemps, la principale a lieu l'été, sur un peu plus d'un mois, avec répétitions et tournée, laquelle se termine à Lille depuis l'an dernier, au diapason de la résidence de la phalange dans la région la plus septentrionale de la métropole. Le concert de clôture, au Nouveau Siècle, permet d'apprécier le cru 2018 de cette académie intensive, sous la baguette de Fabien Gabel.

L'ouverture contemporaine du programme ne saurait mieux résonner dans la maison de l'Orchestre national de Lille, attachée à sortir la création de ses ghettos et à l'inscrire au cœur du répertoire symphonique. Écrit en 2015 par Samy Moussa [photo], Crimson frappe par une déflagration augurale où se concentrent puissance et alchimie des timbres dans un tutti homogène qui transcrit la pourpre éponyme du titre (dans sa traduction française). La vigueur percussive, que les pupitres de l'OFJ ne manquent pas de rehausser avec une belle vitalité, se mêle avec l'éclat des cuivres et les irisations des cordes. Au delà de la dédicace à Pierre Boulez, qui peut se deviner en filigrane avec un motif que l'on croirait tiré de Répons, la pièce développe, par un travail très texturé de la matière sonore, les ferments initiaux vers une conclusion où sourdent des pénombres rampantes, avec une imagination instrumentale qui s'enracine dans ce que l'on a coutume d'appeler la tradition française. Pour être exigeante, cette page n'en met pas moins en valeur la qualité de la formation et de la baguette : l'évidence des moyens sert une authentique poétique orchestrale qui n'a que faire des obsolètes querelles de chapelle autour de la tonalité – la séduction mélodique ne saurait être l'otage des réactionnaires. À cette aune, le compositeur canadien, né en 1984, s'affirme comme l'un des éminents talents de la nouvelle génération [lire nos chroniques d’À l’assaut des jardins et de Kammerkonzert].

Nicolas Dautricourt gagne le plateau où défendre le Concerto n°2 Sz.112 de Béla Bartók, partition hautement inspirée qui ne laisse guère de répit au soliste. Sans recouvrir l'accompagnement orchestral, écrin modulé avec une remarquable finesse par Fabien Gabel qui sollicite une vivante mobilité d'affects chez les jeunes instrumentistes, le violoniste français s'empare de l'ascendant sur le discours au gré de l'architecture en variations. La lisibilité formelle de l'Allegro non troppo est portée par un lyrisme charnu et calibré, sans emphase, qui devient méditatif dans l'Andante tranquillo, avant un Allegro molto conclusif où le rapport de force entre les protagonistes s'équilibre dans une virtuosité peut-être plus tributaire du genre que le reste de l'opus.

Après l'entracte, la Symphonie en fa mineur Op.36 n°4 de Piotr Tchaïkovski libère les énergies. L'ivresse précise des cuivres se distingue dès le mouvement initial, Moderato con anima introduit par un Andante sostenuto à la manière d'un appel du destin. La balance sonore se régule dans un Andantino qui éclaire, avec saveur et intelligence, les interventions solistiques. On retiendra le chant de la clarinette, du hautbois et, plus encore, du basson, d'une exceptionnelle richesse de sentiment. Jouant d'effets mezza voce parfaitement maîtrisés, les pizzicati du Scherzo participent de son identité inimitable, quand le trio ménage des ressources non dénuées de fantaisie humoristique, dans un contraste de textures dessiné avec soin. Le final (Allegro con fuoco) referme la soirée tous décibels dehors, mais sans monolithisme de mauvais aloi, sur une générosité irrésistible qui porte l'empreinte d'une aventure humaine – et peut-être de quelques tropismes orchestraux hexagonaux

GC