Chroniques

par bertrand bolognesi

Semiramide | Sémiramis
opéra de Gioachino Rossini

Münchner Opernfestspiele / Nationaltheater, Munich
- 24 juillet 2017
Semiramide fort peu concluante de David Alden à l'Opéra de Munich
© wilfried hösl

Proposé chaque été par la Bayerische Staatsoper, le prestigieux Münchner Opernfestspiele montre un sain éclectisme dont témoigne son affiche. Reflet de la saison écoulée qu’il couronne, tout en intégrant quelques incursions des plus anciennes, encore présente-t-il une ou deux nouvelles productions, reprises lors du prochain exercice – cette année, Die Gezeichneten de Schreker [lire notre chronique du 7 juillet 2017] et Oberon de Weber. Ainsi, après Lady Macbeth de Mzensk que nous y applaudissions samedi [lire notre chronique de l’avant-veille], assistons-nous aujourd’hui à Semiramide, opera seria en deux actes de Gioachino Rossini, créé à Venise en 1823. Le livret de Gaetano Rossi puise dans la tragédie éponyme de Voltaire, Sémiramis (1748), déjà mise en musique en 1802 par Charles-Simon Catel [lire notre critique du livre-disque].

Dès l’Ouverture, qui fait entendre les précieux bois du Bayerisches Staatsorchester, la direction trop lâche de Michele Mariotti pose problème. On pourrait gloser longtemps sur la difficulté de ciseler quelque italianità à une fosse de tradition allemande sans qu’une telle conversation révèle la clé qui déverrouillerait la présente exécution. Le chef italien livre un travail fort appliqué qui, pour profiter en gourmand de la saveur de chaque trait solistique, finit par s’avérer malencontreusement soporifique. On ne niera certes pas l’élégance de la lecture, mais son absence de vigueur sied mal à l’écriture rossinienne. En alourdissant l’action par l’infinie rodomontade vocale, le compositeur a conçu son œuvre comme une succession d’arrêts sur image entre lesquels la trame instrumentale va bon train : à se trop gargariser des transitions, préludes d’arie ou répons internes, comme de cette Sinfonia alanguie dans une mousseline de camomille, Mariotti dessert la partition qui nécessite une approche plus hiérarchisée de ses ressorts. Si la plastique amabile du résultat demeure louable, ni les chanteurs ni le public ne sauraient se contenter de la mollesse confusionnante des recitativi – orchestraux, rappelons-le, donc particulièrement périlleux.

Un plateau vocal d’exception parvient toutefois à magnifier les carences de la baguette par une auto-direction de ses moyens, qu’on devine des plus rigoureuses. Le premier à s’y distinguer est le baryton-basse Simone Alberghini en Oroe gracieux : le phrasé noble et le timbre enveloppant caractérisent avantageusement le personnage. Rossinien flamboyant [lire nos chroniques du 28 novembre et du 11 septembre 2010], le ténor étatsunien Lawrence Brownlee campe un magnifique Idreno de Mille et une nuits dont les acrobatiques vocalises laissent pantois et suscitent hourras et bravi. Lui aussi salué dans ce répertoire [lire notre chronique de Mosè in Egitto], Alex Esposito livre un Assur de grand impact, nettement plus tenu que son Leporello de l’an dernier [lire notre chronique du 25 juillet 2016]. Généreuse, la voix paraît presque lourde, puis elle fait preuve d’une agilité confondante, de même que la présence en scène, atout d’une incarnation ardente. Fine silhouette dans une incroyable robe d’or entravant sa marche, la jeune Nikola Hillebrand campe une Azema efficace. En 1823, le grand mezzo-soprano Isabella Colbran est Madame Rossini depuis près d’un an ; c’est pour elle que le maître a écrit le rôle-titre. Joyce DiDonato s’y glisse avec une évidence rare qui se joue souverainement de l’ornementation : elle conjugue l’égalité de l’émission sur toute la tessiture, l’onctuosité du phrasé et la densité de la ligne dans une interprétation tendrement nuancée dans les arie et d’un mordant parfait dans les recitativi. Daniela Barcellona lui donne une réplique musclée en Arsace, malgré un creux qui s’infléchit dès qu’il faut descendre du haut-médium – aigu et grave demeurent splendides, cela dit. Galeano Salas ne démérite pas en Mitrane et le spectre de Nino gagne l’autorité d’un Commandeur grâce à la riche impédance de la jeune basse ukrainienne Igor Tsarkov. Outre les fort satisfaisantes parties spécifiques, signalons des ensembles d’une précision exemplaire, ainsi que la prestation impeccable des artistes du Chor des Bayerischen Staatsoper (préparés par Stellario Fagone).

Créée en février dernier, la mise en scène de David Alden transpose la Babylone mythologique dans l’Iran de Muhammad Rizā Shāh Pahlevi, plongeant le regard du public dans une dictature orientale où la statue de Baal n’est autre que celle du roi défunt, un roi qui, du coup, n’est plus la simple victime de l’amour adultérin de Semiramide mais peut-être celle d’un complot de palais. Avouons n’avoir guère été conquis par cette option que Paul Steinberg emprisonne dans un décor extrêmement pesant. Les costumes de Buki Shiff s’avèrent plus inventifs et apportent une touche de lumière à l’ensemble.

BB