Chroniques

par gilles charlassier

Serse | Xerxès
dramma per musica de Francesco Cavalli

avec ballet ajouté de Jean-Baptiste Lully
Théâtre de Caen
- 12 janvier 2016
Serse de Cavalli et Lully au Théâtre de Caen, mis en scène par Guy Cassiers
© frédéric iovino

Sans doute emboîtant le pas aux commémorations tricentenaires de la mort du Roi Soleil, le Théâtre de Caen reprend l'opportune reconstitution lilloise, vue l'automne dernier, de Serse, l'ouvrage présenté par Cavalli pour les festivités du mariage de Louis XIV, avec les ballets de Lully composés afin de répondre au goût de l'aristocratie française et du souverain en particulier. Palliant le retard des travaux du Théâtre des Tuileries conçu pour Ercole amante, commandé pour l'occasion [lire notre chronique du 28 septembre 2006], le compositeur italien avait emmené dans ses bagages son Serse, créé en 1654, complété alors par les divertissements chorégraphiques de la main d'un compatriote qui allait devenir le musicien officiel de la cour de France.

La mise en scène de Guy Cassiers prend en compte le contexte circonstanciel et s'inscrit dans une évocation minimaliste du Louvre à l'aide de praticables dorés, conçus par Tim van Steenbergen, qui forment perspective, tandis qu'à chaque intermède dansé, celle de la Galerie d'Apollon descend en panneau vidéographique, animé par Frederik Jassogne. À la seconde partie, le plateau se dénude jusqu'à laisser apparentes les coulisses, au fil du dénouement de l'intrigue. S'il ne saurait prétendre à l'originalité, le procédé, décliné selon le « léché » réglementaire, s'abstient de facilités systématiques vues ailleurs, grâce, entre autres, aux lumières de Maarten Warmerdam qui calibrent subtilement les degrés d'intimités du drame. Les costumes participent d'une dialectique habile, entre vestiaire allégeant avec une sobriété presque contemporaine la mode populaire du Grand Siècle, et habit d'apparat réactualisant façon Pop art le scintillement des officialités de l'époque. Réglée par Maud Le Pladec, la chorégraphie manifeste semblable équilibre entre histoire et modernité, quand l'entracte fige en plantons trois des danseurs de la Compagnie Leda – signe vraisemblablement plus esthétique qu'herméneutique.

Synthèse de jeunesse et de fidélité, la distribution vocale fait la part belle à la nouvelle génération que les maisons nordique et caennaise ont justement soutenue. Fruit révélé par le Jardin des Voix des Arts Florissants, alors encore en résidence normande, Emmanuelle de Negri [lire notre chronique du 26 janvier 2015 et notre critique du CD Pyrrhus] préserve son intense Amastre de sa mobilité réduite, consécutive à une chute sur une récente production, que la régie a d'ailleurs habilement adaptée avec un fauteuil en bois presque homogène à la conception visuelle. Emőke Baráth incarne une Romilda non moins sensible, à la musicalité également évidente [lire nos chroniques du 9 juillet 2013 et du 16 août 2012], quand Camille Poul instille à Adelanta une appréciable fébrilité dramatique [lire notre chronique du 16 juillet 2015].

Dans le rôle-titre, la souveraineté d'Ugo Guagliardo privilégie souvent la présence des graves et de l'effet expressif à l'aristocratie de la ligne [lire notre chronique du 5 novembre 2013]. En Arsamene, le frère, Tim Mead lui donne une réplique au fait du style et du sentiment [lire nos chroniques du 8 octobre et du 11 juillet 2012, ainsi que du 15 juin 2005]. Carlo Allemano ne manque point d'autorité en Ariodate [lire notre chronique du 12 août 2012], tandis qu'Emiliano Gonzalez Toro soutient sans faillir les ressorts comiques d'Eumene, qu'il sait rendre touchants. Mentionnons encore l'Elviro de Pascal Bertin [lire nos chroniques du 30 août 2008 et du 11 juin 2006, mais aussi notre entretien], ainsi que Frédéric Caton en Aristone.

Réparti entre la fosse et les latéralités d'avant-scène – avec Cavalli du côté de l'usage habituel et de l'autre, les interventions de Lully, douées ainsid'un relief et d'une projection quasi cérémoniale, rehaussant une partition moins contrastée que le reste de l'opéra –, l'ensemble Le Concert d'Astrée affirme une admirable variété de couleurs et de textures qu'Emmanuelle Haïm distribue avec un instinct évident au fil de l'œuvre. On ne peut que se réjouir d'entendre leSerse de Cavalli servi avec une telle vitalité.

GC