Chroniques

par pierre-jean tribot

Simon Boccanegra
opéra de Giuseppe Verdi

De Nederlandse Opera, Amsterdam
- 21 mai 2006
Peter Mussbach signe Simon Boccanegra (Verdi) à l'Opéra d' Amsterdam (DNO)
© dno

Alors que Paris s'époumone à huer une nouvelle production de Simon Boccanegra, c'est au tour du Nederlandse Opera de proposer l'ouvrage au public. Pour ce nouveau spectacle, l'institution batave fait appel à une star de la mise en scène : l'intendant de la Staatsoper de Berlin, Peter Mussbach. Force est pourtant de constater qu'il se fait largement voler la vedette par le chef Ingo Metzmacher. À la tête de l'Orchestre Philharmonique de Rotterdam, l'actuel directeur musical de l'opéra amstellodamois donne une véritable leçon de direction verdienne. L'influx dramatique, le souci d'un accompagnement attentif aux voix, la transparence des textures sont absolument idéaux. Sous sa baguette, l'orchestre se pare de ses plus belles couleurs, alors qu'il éclate dans les moments emportés. Prestation après prestation, Metzmacher s'impose comme l'un des plus grands chefs en activité, capable de briller dans tous les répertoires et de tirer la meilleure sève des différentes formations hollandaises qui fréquentent la fosse du Muziektheater.

Peter Mussbach est un scénographe bien trop intelligent pour plaquer tout type de relecture à l'emporte-pièce – ainsi évite-t-il de trop insister sur la dimension politique surestimée de la partition –, mais il se perd trop souvent dans ses différentes idées et, au final, rend le fil directeur bien difficile à suivre. Cette mise en scène ne déroge pas à son esthétique, mais il faut reconnaître que Mussbach n'est pas aidé par les décors et les costumes. Fidèle parmi les fidèles, Erich Wonder signe un décor indéterminé, mélange de bois et de toiles peintes en beige : vaste salle d'un palais ou plage au bord des falaises ? Il est impossible d'identifier où nous nous trouvons. Des éclairages de différentes couleurs, création d'Alexander Koppelmann, projettent pourtant les ombres subtiles des personnages. Les costumes d'Andrea Schmidt-Futterer laissent particulièrement perplexe. Simon Boccanegra et Jacopo Fiesco sont vêtus en réfugiés de l'Entre-deux-guerres, alors que Pietro et Paolo sortent tout droit d'un défilé « branché » de Dries van Noten.

Les choristes sont tous habillés de costumes stylisés qui semblent calqués sur ceux de l'armée de terre cuite du premier empereur Qin. Ces multiples inspirations nuisent à la perception d'ensemble, d'autant qu'on ne comprend à aucun moment le but d'une direction d'acteur élaborée qui tourne à vide, n'apportant aucun éclairage sur les personnages : Fiesco semble flasque alors que Boccanegra se présente comme un individu perdu, hanté par les spectres de sa défunte bien-aimée Maria, présente physiquement tout au long du spectacle par le biais d'une figurante vêtue en Marie-Antoinette. En comparaison avec certains non-sens absolus des mises en scènes « modernes », le travail de Mussbach ne démérite pas, mais on aimerait plus de profondeur dans l'approche des personnages.

La distribution vocale se compose de valeurs sûres et de jeunes espoirs.
Le résultat s'avère des plus mitigés. Le baryton polonais Andrzej Dobber s'impose comme incontournable dans les rôles verdien ; sa réputation n'est pas usurpée, tant le timbre cuivré est éclatant et superlative la projection. On sera plus réservé sur Roberto Scandiuzzi dont la voix est déjà usée : le timbre reste assez banal et l'intonation plutôt revêche. Le couple Amelia/Gabriele fait la grosse déception de cette matinée. Distribué sur de grandes scènes internationales, le soprano chilien Angela Marambio fait bien pâle figure : le timbre ne serait pas laid, mais les passages entre les différents registres sont plus que délicats et les aigus s'avèrent criards ; on peut faire les mêmes reproches au ténor mexicain Alfredo Portilla : ce chanteur a certes le grand mérite de remplacer Marius Brenciu initialement programmé, mais on ne peut pas laisser passer de telles insuffisances – vilain timbre, intonation poussée, phrasés aigres et métalliques. Les jeunes barytons Marco Vratogna (Paolo) et Roberto Accurso (Pietro) livrent une honnête prestation, mais on guette en vain une quelconque personnalité musicale. Souvent sollicités, les Chœurs de l'Opéra d'Amsterdam s'affirment en grande forme, avec une homogénéité digne d'éloges.

En conclusion, cette production intéressante mais inaboutie montre que Simon Boccanegra est une œuvre redoutable à monter, plus encore quand la distribution ne peut masquer de sérieuses carences.

PJT