Chroniques

par gilles charlassier

soirée de clôture de ManiFeste
musiques d’Hilli, Rykova, Saariaho et Torvund

film d’animation de Jenny Jokela – diaporama
ManiFeste / Centre Pompidou, Paris
- 30 juin 2022
clôture de ManiFeste, avec "Hibernation" de Sebastian Hill et Jenny Jokela
© dr

Confiée à la promotion 2021/2022 de l’académie de l’Ensemble Modern – l’International Ensemble Modern Academy (IEMA), sous la direction d’Alexander Sinan Binder –, la clôture de l’édition 2022 de ManiFeste, le festival annuel de l’Ircam, est, à l’instar du concert de vendredi dernier à la Maison de la radio et de la musique [lire notre chronique du 24 juin 2022], placée sous la double enseigne des pays nordiques et d’un éclat de rire en guise de salut.

Celui-ci n’est cependant guère au menu des deux premières pièces, marquées par une lancinance mélancolique. Donné en création française, In the presence of absence pour clarinette, piano, violon, violoncelle, amplification et électronique d’Elena Rykova (née en 1991) [lire notre chronique d’An hourglass on a spine axis] s’articule autour d’une monochromie statique dont les ressources suggestives sont étirées pendant une dizaine de minutes. L’écriture, aux vertus passablement sédatives, se situe aux confins de l’installation.

Ces effets psychotropes se retrouvent dans le dispositif audiovisuel d’Hibernation, commande conjointe de l’Ircam, Time of Music, l’IEMA et du festival Gaudemus, avec le soutien du réseau Ulysses et de la Fondation culturelle suédoise de Finlande, passée à Sebastian Hilli et Jenny Jokela (nés en 1990). Sur des animations de l’illustratrice finlandaise assumant un graphisme onirique et juvénile, son compatriote compositeur élabore une immersion sonore certainement efficace pour la traduction de la solitude neurasthénique des confinements, à défaut d’un relief singulier dans l’invention et l’utilisation des ressources du grand ensemble et de l’électronique.

Écrit en 1993 pour ensemble et électronique, Solar de Kaija Saariaho affirme, à rebours de la pente chronologique, une modernité plus nette. Les textures mouvantes mêlent des éclats cuivrés et le dynamisme des attaques, avec une densité de la matière qui ne verse jamais dans le monolithisme. On ne retrouve pas les évanescences qui sont l’une des marques de la musique de Saariaho, mais la richesse expressive n’abdique pas devant la virtuosité technique, relayée par les jeunes pupitres de l’IEMA.

Les zygomatiques ont dû patienter une heure avant de pouvoir s’activer avec la première française de Plans, pièce audiovisuelle d’Øyvind Torvund (né en 1976) [lire notre chronique d’Archaic Jam] créée en septembre dernier par Klangforum Wien à l’Université d’Oslo. Si, jouant non sans quelque cabotinage avec les atermoiements et les proliférations de l’écriture, sans souci de contrainte formelle, les saynètes loufoques du diaporama n’évitent pas toute redondance, les assimilations parodiques de la partition, autant dans les gestes contemporains que dans les tropismes romantiques – on se prend à songer à Mahler ou au Ring wagnérien –, réjouissent l’oreille et l’esprit. L’approche ludique et habile peut faire penser à Mikel Urquiza. Une inspiration aussi alerte rappelle que la jeunesse n’est pas une question d’années et offre un tomber de rideau en forme de pied de nez à cette moisson de ManiFeste [lire nos chroniques des 9, 15, 17, 18, 23, 24 et 25 juin 2022].

GC