Chroniques

par hervé könig

Thea Musgrave et Ralph Vaughan Williams
Martyn Brabbins dirige le BBC Scottish Symphony Orchestra

Elizabeth Watts, Christopher Maltman, Edinburgh Festival Chorus
Edinburgh International Festival / Usher Hall, Édimbourg
- 9 août 2018
L'Edinburgh International Festival fête les 90 ans de Thea Musgrave !
© bryan sheffield

Après un intéressant programme transatlantique somptueusement servi par le BBC Philharmonic placé sous la direction de Juanjo Mena [lire notre chronique de la veille], nous quittons Londres par les airs pour découvrir, moins de deux heures plus tard, la belle cité d’Édimbourg, sur les tertres volcaniques écossais. Après les Sea Interludes, le programme de cette soirée de l’Edinburgh International Festival reste dans le ton avec la vaste Sea Symphonie de Ralph Vaughan Williams.

Après avoir fait connaissance avec l’élégante rotonde de l’Usher Hall avec son extension contemporaine, en bas du château, nous entendons, pour commencer, Turbulent Landscapes de Thea Musgrave, une suite de six mouvements inspirés en 2003 à la compositrice par l’un de ses peintres favoris, William Turner. Créé par Grant Llewellyn à la tête du Boston Symphony Orchestra in loco le 1er avril 2004, cet opus arrivait aux oreilles européennes le 13 novembre suivant, à Manchester, par le BBC Symphony Orchestra et David Zinman. Chaque partie est dramatisée par un instrument solo.

Au pupitre du BBC Scottish Symphony Orchestra, on retrouve Martyn Brabbins [lire nos chroniques du 13 mai 2016, du 19 mai 2012, du 23 mai 2009, du 18 septembre 2004 et du 27 septembre 2003] pour cette première écossaise. Sunrise with sea monsters laisse distinguer dans des ocres troubles une mer étale avec un monstre, gueule ouverte. Il faut regarder longtemps la peinture pour voir la figure. Les cuivres menacent des cordes calmes, puis un solo de tuba, le monstre qui disparaît vite dans une tache de soleil (le mouvement dure juste trois minutes). Le deuxième est l’exception, puisqu’il s’intéresse à trois tableaux de Turner : The Shipwreck, avec ses eaux déchaînées autour d’une embarcation condamnée, Dawn after the Wreck, plage immense où un chien pleure, et Staffa, Fingal's Cave où l’on aperçoit dans la brume un bateau à vapeur approcher dangereusement d’une falaise à peine visible. Ce mouvement est le plus long du cycle. Les cordes tourbillonnent. On perçoit nettement une vague furieuse. La colère s’exprime dans des cuivres agressifs. L’animal (hautbois) hurle sa tristesse à l’océan. On peut croire à un programme bien défini, mais il n’en est rien, la pièce mêle les climats et l’on ne sait pas quand l’on est dans La grotte. Le cor solo est le leader des cordes, comme Hannibal menant ses troupes à travers la montagne. Snow Storm: Hannibal and his army crossing the Alps est le sujet de la troisième partie où l’on entend l’effort dans cet autre type de tempête. Un soleil tout rond est en passe d’être recouvert par une masse nuageuse très noire et circulaire.

War: The exile and the Rock Limpet, c’est Napoléon déchu, avec un fantassin droit comme un i veillant sur lui dans une lande marécageuse indéfinie. La trompette, c’est le bilan intérieur que fait l’Empereur à ce moment de sa vie. On entend même, à deux reprises, une citation de La Marseillaise, comme le regret de la gloire terminée. Le début de 16th October 1834: The burning of the houses of parliament paraît convoquer une harmonie plus ancienne. Après un décor tranquillement posé, le piccolo, puis les bois en généralfont courir la flamme sur l’eau, embrasant rapidement tout le mouvement. On croit entendre le Parlement s’effondrer sous l’assaut du feu dans les percussions. La toile la plus abstraite des six est Sunrise, with a Boat between Headlands. Des appels dans le brouillard, comme ces silhouettes bleutées surplombant l’eau, peut-être une tour au fond. La vague du début de Turbulent Landscapes enrobe un solo de clarinette, tournoyant. Grand succès, ce soir, pour Thea Musgrave, souriante nonagénaire qui salue de la salle, sous des applaudissements nourris [lire notre chronique du 7 août 2018].

A sea symphony fut achevé en 1909, après six ans de travail.
La création eut lieu l’année suivante, sous la direction de Ralph Vaughan Williams, au Leeds Festival. Il est évident que, plus jeune, le compositeur avait été frappé par The dream of Gerontius d’Elgar [lire notre chronique du 21 décembre 2017]. Sa partie chantée, confiée à un grand chœur, un soprano et un baryton, puise dans Feuilles d'herbe, recueil du poète américain Walt Whitman (Leaves of grass, 1855). Pour la peine, l’Edinburgh Festival Chorus prend place à l’arrière de l’orchestre. Le premier mouvement, A song for all seas, all ships, affirme un lyrisme très grandiloquent, d’usage dans le postromantisme anglais de l’époque. La tradition chorale du pays y est largement représentée. À ma voisine qui, dans l’intervalle avant le deuxième mouvement, prétend reconnaître la Symphonie des milles de Mahler, je précise vite fait que les deux œuvres ont été créés au même moment, qu’aucun des compositeurs ne put s’inspirer de l’autre. On the beach at night, alone est donné avec une belle sensibilité par Christopher Maltman, en bonne forme. Martyn Brabbins veille à maintenir orchestre et chœur dans un moelleux que le baryton peut dominer sans effort. Les fanfares introduisent The waves, le chœur du Scherzo. The explorers, dernier mouvement, offre un duo chatoyant, avec le soprano Elizabeth Watts qui n’a malheureusement pas le format pour surmonter un tel effectif.

Encore un très beau moment de cette tournée britannique !

HK