Chroniques

par gilles charlassier

Thibault Cauvin (guitare) et Julien Martineau (mandoline)
Jonathon Heyward dirige l’Orchestre national Bordeaux Aquitaine

Raffaele Calace, Antonín Dvořák, Joaquín Rodrigo et Antonio Vivaldi
Estivales de musique en Médoc / Auditorium, Bordeaux
- 12 juillet 2018
L'Orchestre national Bordeaux Aquitaine, Thibault Cauvin et Julien Martineau
© dr

Après un dernier concert dans les vignobles [lire notre chronique de la veille], les Estivales de musique en Médoc referment à l'Auditorium de Bordeaux leur édition anniversaire (quinze ans, déjà !), avec l'Orchestre national Bordeaux Aquitaine et un jeune chef, Jonathon Heyward, lauréat de l'édition 2015 du Concours de Besançon. Le tout est présenté par la faconde généreuse de Frédéric Lodéon, maître de cérémonie régulièrement invité par le festival girondin (dont il est d'ailleurs le parrain). Le programme réunit deux solistes qui ont fait connaissance chez Jacques Hubert, le président des Estivales, remarquable entremetteur de talents : le guitariste Thibault Cauvin et le mandoliniste Julien Martineau – ils se retrouveront le lendemain aux côtés du contrebassiste solo de l'ONBA, Matthieu Sternat, pour un concert à la maison d'arrêt de Gradignan : au delà des grappes, de notes et de raisins, les Estivales n'ignorent pas l'engagement social. Pour pallier le moderne élargissement des auditoires, chacun des deux jouent sur un instrument subtilement amélioré, avec l'intégration dans la lutherie d'un non moins discret dispositif d'amplification qui ne trahit pas le timbre idiomatique des cordes pincées.

Le Concerto pour deux mandolines et cordes en sol majeur RV 532 de Vivaldi associe les deux musiciens, en substituant l'un des deux à la guitare. Réduite à un effectif presque diététique, la phalange bordelaise sert d'écrin à la fluide volubilité des soli, se réduisant à un continuo décanté dans un Andante poétique entre deux allegri alertes, à défaut de complaire absolument aux stéréotypes de l'historiquement informé. Le tropisme baroque se prolonge avec le Concerto pour mandoline en la mineur Op.144 n°2 de Raffaele Calace (1863-1934), aux allures de pastiche. Le prolixe Italien, considéré comme le Paganini de la mandoline, a largement enrichi le répertoire de son instrument. Le présent opus, que Julien Martineau a enregistré avec Rinaldo Alessandrini, avait été conservé en réduction avec piano : il n'a été orchestré que par la suite. Si l'on reconnaît la légitime et éminente place des soli et de ses idiomatiques trilles obligés, ciselés avec une conviction communicative, on retient d'abord l'irrésistible séduction mélodique, non dénuée de sentimentalisme à la napolitaine, mélancolique ma non troppo. Le Maestoso dévoile l'inspiration presque cinématographique d'une partition que n'ignorait peut-être pas Christophe Julien pour le film d'Albert Dupontel, Au revoir là-haut. Le Largo mesto central pourrait presque frayer avec Visconti, quand le final confirme une facture équilibrant invention et attendus académiques.

Après l'entracte, Rodrigo et son incontournable Concerto d'Aranjuez mettent en valeur la maîtrise de Thibault Cauvin dans la sensibilité de l'Adagio archétypal, parsemé d'une mobile succession d'éclairages sur les pupitres, réglée avec soin par la baguette américaine, autant que dans les mouvements vifs extrêmes, efficacement conduits. En contraste, la soirée se referme sur un poème symphonique relativement méconnu de Dvořák, Le rouet d'or Op.109 (Zlatý kolovrat, 1896), qui met en notes un conte de Karel Jaromír Erben, comme deux autres pages du compositeur écrites à la même époque. L'histoire, assez sordide, met aux prises une princesse et sa marâtre, cette dernière la découpant en morceaux pour présenter sa propre fille à l'héritier de la couronne. Mais un rouet magique va la reconstituer et punir les coupables par le même supplice. En près d'une demi-heure, l'œuvre ménage des effets très évocateurs, au gré d'un bouillonnement narratif admirablement restitué par Jonathon Heyward, attentif aux couleurs et aux textures autant qu'à la verve dans lesquelles se loge le génie inimitable du musicien tchèque. Un bis gratifie d'une Csárdás endiablée de Vittorio Monti.

GC