Chroniques

par bertrand bolognesi

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Opéra-Théâtre Metz Métropole
- 1er février 2019
Une nouvelle Tosca à Metz, signée Paul-Émile Fourny
© luc bertau | opéra-théâtre metz métropole

Pour sa nouvelle production de Tosca, Paul-Émile Fourny confie la fosse de son Opéra-Théâtre de Metz à une baguette espagnole des plus vives, celle de José Miguel Pérez-Sierra. Après l’avoir dirigé ici dans La Cenerentola, Turandot et Il trittico, le jeune chef, parfaitement aguerri au répertoire italien [lire nos chroniques de Lucrezia Borgia et de L’equivo stravagante] retrouve l’Orchestre national de Metz pour le fameux mélodrame de Puccini. Avec un imparable sens du théâtre, tout-à-fait convaincant, il s’élance dans l’urgence du drame avec ses complices musiciens, non sans soigner la respiration, parfaitement vocale, en bon camarade des chanteurs. La lisibilité du geste comme son impact psychologique sur l’exécution mène une représentation captivante où la balance scène/fosse est idéalement atteinte, y compris pour la musique emboîtée (la cantate du début du deuxième acte). Sans lambiner jamais, Pérez-Sierra, que le public messin pourra retrouver au printemps à ce pupitre pour Carmen, ménage le délié indispensable l’émotion. Bravo aux jeunes voix du Chœur d’enfants du CRR de Metz, préparées par Annick Hoerner, ainsi qu’aux artistes du Chœur maison, que dirige Nathalie Marmeuse.

Après une première mise en scène de Tosca, il y a quelques années, Paul-Émile Fourny remet l’œuvre sur le métier et se donne pour mission de la « recentrer plus encore sur les quatre personnages principaux » (brochure de salle). De fait, loin des encombrements que souvent l’on rencontre, y compris dans des théâtres aux dimensions modestes, le plateau est relativement nu : seul un ingénieux dispositif vidéastique vient évoquer les divers lieux de l’action, laissant l’argument se développer dans une conception clarteuse signée Virgile Koering. Imaginée avec l’auteur des lumières, Patrick Méuüs, la scénographie de Fourny excite l’imagination sans la restreindre par un cadre trop précis. Le rideau se lève sur un dallage lustré où se reflète le leurre d’une semi-colonnade. Dès le surgissement du consul, l’on remarque une silhouette. Est-ce un double ? Va-t-on distribuer le jeu entre un chanteur et un danseur ou un figurant, selon un principe artificiel, voire acrobatique ? Non, cette présence s’en tient à la discrétion congrue. Bien campées, les figures dramatiques parlent dès leur apparition. Ainsi de la peur et de la fatigue du fuyard, avec la marque des fers à ses chevilles rougies. Ainsi, encore, de la désapprobation du sacristain, ici en soutane plutôt qu’en blouse de ménage – rappelons que traditionnellement cette charge peut indifféremment être tenue par un laïc ou un religieux, le costume n’a donc rien d’étonnant. Ainsi l’inspiration pressante du peintre ou l’ardeur amoureuse de la possessive cantatrice, classiques, en somme. Avec Cavaradossi paraît un deuxième figurant, donnant à penser que tous les futurs morts de l’intrigue possèdent le leur, arborant vêture et coiffe apparentée, d’un abord défraîchi comme d’un autre monde. Le metteur en scène s’en explique : « …un ange gardien qui observe le cours des choses mais ne le modifie pas… ».

Précieuse alliée, la mobilité des images autorise des évocations légères et des changements évolutifs d’une efficacité incontestable. L’apparition de la madone en cours de réalisation, marquise Attavanti dans l'extase de la prière, ou l’étourdissant mouvement des colonnes sont les atouts d'une extrapolation symbolique : par exemple, à l’instant T du complot amoureux du baron, qui du plasticien fait un appât pour atteindre l’objet de sa convoitise, elles explosent en mille briques. Pendant Vissi d’arte, alors qu’on vient de voir les mains broyées de Mario – on le fait souffrir par l’instrument qu’emprunte son inspiration artistique pour s’exprimer –, le tableau sacré se craquelle, ce qui revient à dire de la dictature policière qu’elle anéantit l’art et la piété/pitié (ces mots ont même origine). Le rideau de l’Acte III se lève sur un cimetière gothique dans la nuit bleutée. Les anges gardiens avaient ouvert cette voie vers le royaume des morts. Après la pastorale, une aube nuageuse éclaire les dômes romains, a contrario des sempiternels cieux purs. Pour la fin du duo, l’oscillation vertigineuse de la terrasse projetée et de son reflet, répulsif et fascinant, indique à elle seule la folie d’avoir cru au marché de dupe proposé par Scarpia : si tant est qu’il existait vendredi un innocent dans la salle à ne pas connaître Tosca, gageons qu’il eût d’emblée compris le dénouement fatal. La dernière séquence (comme l’on dirait au cinéma) fait avancer une colonnade vers le public, de front, à vitesse cordiale, laissant sur son bas-côté un visage de supplicié, en superposition à l’embryon d’architecture animée. Plutôt que de se mouvoir dans les lieux, les personnages sont transportés par ceux-ci, implacables. En toute logique, Floria rejoint les fragments éclatés du final du I pour se précipiter dans le néant, avanti a Dio.

La scénographie n’y suffirait pas : encore faut-il saluer la direction d’acteur et ses inventions. Ces mains brisées, on les retrouve lorsque le peintre achète du papier et un crayon : ce n’est pas pour écrire mais tenter de dessiner, oser braver ainsi la barbarie. Bien vu, également le jeu de chats et de souris exercé par le baron et Spoleta sur Mario puis sur Floria, en tournant physiquement autour de chacun, à le frôler. Une réserve, cependant : le crucifix-poignard, interprétable comme la punition divine s’abattant sur le faux-dévot cynique et cruel, induit, bien qu’assez ingénieux dans l’idée, une manipulation franchement disgracieuse qui, d’une certaine manière, renoue avec le sordide presque risible de ce théâtre-là (Sardou) auquel échappe l’ensemble du spectacle.

Dans des costumes fidèles à la datation de l’argument, dessinés par Giovanna Fiorentini, les protagonistes sont investis par une distribution plutôt heureuse. La saine stature vocale d’Andreï Zemskov sert un Geôlier robuste. La jeune Déborah Salazar assume sans faillir la brève partie du Pâtre. Julien Belle livre un Sacristain sans caricature et bien chantant. Tour à tour mordant et lyrique, le Scarpia de Michele Govi use autant de miel que de fiel grâce à la souplesse de l’inflexion qui le rend dangereux. On découvre avec grand intérêt Jean-Fernand Setti, basse noble et de généreuse projection qui s’amende somptueusement du rôle d’Angelotti, fort émouvant. Souvent applaudi dans le répertoire français, Florian Laconi retrouve ce soir sa ville natale et, avec Puccini, ses origines italiennes [lire nos chroniques de Carmen, Le roi d’Ys, Faust, Les contes d’Hoffmann, Turandot et La rondine]. On le constatait au printemps dernier, sa voix a révélé une dimension nouvelle avec Hérodiade de Massenet, désormais plus étoffée [lire notre chronique du 25 mars 2018]. En ce soir de première, il arrive que son Mario, de fort belle facture, plafonne parfois, péchant souvent par imprudence. Toutefois, mieux que bien tenu E lucevan’ le stelle ne permet pas d’émettre le moindre doute quant à la légitimité de l’artiste dans ce rôle. Peut-être le style demande-t-il à se cultiver encore, mais avec un tel matériau à disposition, de belles années commencent pour le ténor. Enfin, Francesca Tiburzi est Tosca, voix d’airain au grand souffle qui font oublier une incarnation assez maladroite.

BB