Chroniques

par bertrand bolognesi

Tosca
opéra de Giacomo Puccini

Opéra national de Bordeaux
- 10 février 2005
© frédéric desmesure

Cette Tosca présentée il y a une dizaine d’années au Capitole de Toulouse s’ouvre sur un décor plus qu’imposant, reconstitution d’église romaine occupant tout l’espace scénique sans guère laisser de place aux protagonistes d’une action qui s’en trouve bien souvent réduite à l’oratorio. Comment Nicolas Joel n’a-t-il pas pensé à cet inconvénient, lui qui sait utiliser au mieux les ressources d’un ouvrage pour permettre aux artistes d’y faire évoluer leurs personnages ? Cette tendance recule légèrement au second acte, laissant un plateau moins encombré pour le cabinet de Scarpia, malgré tout parasité par quelques marches sur toute la largeur, venant entraver les déplacements. Le pire pour la fin : l’aube se lève sur une médiocre maquette de la ville éternelle, vue cadastrale depuis une plate-forme étriquée du Saint-Ange. Ici l’on marche précautionneusement, on calcule chaque pas, on se bouscule, on se rattrape, on fait bien attention de ne pas écraser le manteau du partenaire ; bref : cette inutile opulence – par ailleurs joliment réalisée par Carlo Tommasi – appauvrit tant l’espace que le jeu.

Si l’on trouve là matière à excuser la relative gaucherie d’une Floria Tosca plus qu’empruntée, maladresse et lenteur n’en demeurent pas moins. Anda-Louise Bogza limite son jeu à quelques roulements d’yeux et volte-face improbables, appuyant le moindre élément dramatique comme plus personne n’ose encore le faire – et si vous n’avez pas vu qu’elle dissimule le poignard fatal de l’Acte II, c’est que vous dormiez ! Voilà une chanteuse n’hésitant pas à ralentir le tempo quand ça l’arrange, distribuant généreusement des rubati récidivistes jusqu’à déstabiliser plus d’une fois l’orchestre, à laquelle on reconnaîtra cependant une voix intéressante, un timbre présent et de véritables moyens, mais tout cela d’une seule pièce, d’un bout à l’autre forte, sans la moindre nuance, doté d’une diction qui rend le surtitre indispensable (dans Tosca…). Certes, la couleur est belle, mais le soprano non seulement ne prend aucun risque, mais ne s’engage pas même dans le minimum qu’une telle incarnation requiert

Heureusement, on ne résumera pas la soirée au rôle-titre. Si l’Angelotti de Jérôme Varnier est tout à fait honorable, les deux grandes figures masculines de l’ouvrage sont ici magnifiquement interprétées. Boris Statsenko offre à Scarpia une voix sonore, très projetée, et un timbre de toute beauté qu’il révèlera dans l’Acte II. Le survol de la partie de chœur du final du premier acte est d’une souplesse étonnante. Il a su construire un personnage tant secret qu’inquiétant, avec ce charme irrésistible des prédateurs. Brandon Jovanovich assure un Mario idéal : la voix a trouvé l’espace qui lui manquait hier et le timbre peut aujourd’hui colorer son grave d’un cuivre appréciable, notamment dans les récitatifs. C’est tout naturellement que le ténor met au service du rôle de vraies qualités d’acteur, à l’antipode de la froideur de l’héroïne. Son Vittoria ! après la torture, la voix tentant de dominer un corps titubant d’épuisement, est tout simplement bouleversant. Si l’on regrette parfois le manque de style de certains artistes américains dans ce répertoire, il semble bien que la musique de Puccini aille comme un gant à Brandon Jovanovitch qui, après un efficace et attachant Luigi (Il Tabarro), un Pinkerton irréprochable bien que moins épanoui (Madama Butterfly), donne un excellent Mario.

En fosse, Marco Balderi dirige une lecture au lyrisme bien dosé, à la tête d’un Orchestre National Bordeaux Aquitaine au mieux de sa forme.

BB