Chroniques

par bertrand bolognesi

Trio Salzedo
dans l’univers du compositeur Tôn-Thât Tiêt

19 Rue Paul Fort, Paris
- 1er octobre 2019
Les dames du Trio Salzedo jouent Tôn-Thât Tiêt au concert et sur disque
© jean radel

Depuis 2011, la violoncelliste Pauline Bartissol, la flûtiste Marine Perez et la harpiste Frédérique Cambreling forment le Trio Salzedo, ensemble dont la harpe figure en pilier, comme l’indique son nom, hommage au compositeur et harpiste Carlos Salzedo. Cette soirée fait entendre quatre opus de Tôn-Thât Tiêt, musicien né au Vietnam en 1933, arrivé en France à l’âge de vingt-cinq ans et aussitôt élève d’André Jolivet au conservatoire de Paris. Voilà une musique qui tresse d’insaisissable manière les influences orientales et occidentales, dans un héritage secret volontiers méditatif. Moins présente à la scène de nos jours, c’est par une partition déjà ancienne qu’on l’abordait il y a quelques dizaines d’années, Ba Doản Khúc, triptyque à la brièveté quasi webernienne jouant de trémolos et de mystère, par une sorte d’impalpable froissement ayant lieu bien au-delà du piano pour lequel il fut écrit en 1967 – un an plus tard, cette facture particulière s’exprime plus encore dans le quatuor de bois avec piano, Tứ Đại Cảnh, qui mêle au souvenir du Viennois un parfum varésien sans doute transmis par Jolivet.

Avec cette soirée rue Paul Fort, dans une galerie privée sise au numéro 19 où Hélène Aziza accueille régulièrement des concerts, le Trio Salzedo fête l’avènement de son tout premier CD, entièrement consacré à Tôn-Thât Tiêt. En guise de titre, les instrumentistes ont choisi Incarnations structurales, nom de l’œuvre de cette période qui les réunit toutes trois– 1967, création en 1970, par le Trio Nordmann (Renaud Fontanarosa, André Guilbert et Marielle Nordmann). Cet opus vient conclure la soirée. Par le Lento quasi improvisazione, le jeune compositeur paraît regarder plus activement la culture natale qu’il ne le fit dans les pages précédemment citées. Une saveur incantatoire habite le Lento, danse animée (comprendre con anima, veux-je dire) que ponctuent les inserts d’un oiseau-flûte imprévisible. D’abord plus égayé dans l’espace sonore, l’Andante rassemble bientôt les timbres dans une tournerie peut-être transcendantale. Aux confins du silence, le Lento mistico, d’un dessin fort libre, est enrichi par plusieurs triangles.

The endless murmuring lançait ce moment, duo pour violoncelle et harpe écrit en 1991, que l’auteur assemblerait en 1995 dans un cycle de trois mouvements – II pour basson et harpe, III pour alto, basson et harpe. La seconde répétée en pizz’ du violoncelle se dépose sur un brouillage harpistique obstiné dans un geste liminaire énigmatique. À l’archet, le chant survient alors, tandis que la harpe engage un dédale embryonnaire polarisé vers un fa obsédant. S’ensuit un épilogue de plus lâche nature. En 1981, Tôn-Thât Tiêt signe une page pour flûte et harpe d’inspiration bouddhiste, Thùy Lâm,… Vô, d’après un vers du poète Tùng Thiện Vương (XXe siècle). Il y convoque une combinaison sérielle qui interroge l’impermanence de l’homme au monde. Les trois miniatures pour violoncelle solo à constituer Mémoire des sons (2016) sont un hommage à l’ami Henri Dutilleux, disparu trois ans auparavant. Voilà un programme que nous aurons grand plaisir à retrouver au disque !

BB