Chroniques

par bertrand bolognesi

Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner

Théâtre du Capitole, Toulouse
- 8 mars 2007
© patrice nin

Après Lyon, Montpellier, Genève et Strasbourg, la saison wagnérienne française se poursuit avantageusement à Toulouse avec Tristan und Isolde. Alors que chacun se plaint de la difficulté de réunir une distribution pouvant assumer ce répertoire, Nicolas Joel continue de faire des miracles, comme déjà l’avaient prouvé ses choix judicieux pour le Ring, Die Meistersinger von Nürnberg [lire notre chronique du 17 juin 2006] et, tout dernièrement, une Frau ohne Schatten (Strauss) de légende [lire notre chronique du 6 octobre 2006].

Si les artistes du Chœur du Capitole, dirigés par Patrick Marie Aubert, offrent un vaillant relief à leur prestation, encerclant l’écoute d’étonnante façon, au Timonier gentiment vaillant de Laurent Labarbe répond le berger parfaitement placé au timbre clair d’Alfredo Poesina. Moins convaincant s’avère le Melot – techniquement irréprochable, mais vocalement et dramatiquement assez terne – de Christer Bladin. Plutôt touchant, Olivier Zwarg présente un Kurwenal parfois inégal, mais satisfaisant ; étrangement, cette voix lourde qui, dans le premier acte, rencontre quelques difficultés à viser exactement la note, se laisse plus tard dominer par l’orchestre. On saluera la louable prise de risque d’aborder tout le début du troisième acte comme un Lied, manifestant une approche infiniment sensible. Le ténor canadien Alan Woodrow, aguerri à l’univers de Wagner (il chante Siegmund, Rienzi, Siegfried, etc.), campe un Tristan d’abord belliqueux jusque dans la couleur vocale, utilisant judicieusement les ressources agressives de sa voix. Vraisemblablement en petite forme, ce soir, le héros sera mis en péril par le second acte, laissant entendre attaques mal assurées, enrouements et mucosités inconfortables qui souvent entraîneront la note vers le bas. En revanche, on saluera sa vaillance retrouvée dans le dernier épisode, dotée alors d’une belle phraséologie. Que Kurt Rydl soit un très grand Marke ne surprendra pas ; faut-il le dire une fois de plus ? Non seulement la voix est immense et impose son autorité, mais encore aborde-t-il la partition avec une absolue intelligence du texte et de la situation qui finit d’asseoir une forte présence.

Les surprises de la soirée viennent des deux rôles féminins. Avec une puissance et une souplesse médusantes, un impact impressionnant de fiabilité, une technique à montrer en exemple, une couleur riche que nourrit une vraie force d’évocation, Janina Baechle est une Brangäne exceptionnelle. Aux mélomanes qui l’entendirent dans le Ring toulousain, ou plus récemment en Teinturière (Die Frau ohne Schatten), et qui se demandaient quelle puissante mais peut-être dure Isolde elle serait, Janice Baird livre une réponse souveraine : usant à bon escient d’une force d’airain dans l’irrésistible furie du premier acte, elle se métamorphose littéralement dans le deuxième, travaillant une couleur qui s’est autant allégée que la tenue corporelle s’est faite diaphane et plus juvénile la lumière du regard, signifiant une possession amoureuse enthousiaste, pour paraître soudain plus réservée dans le dernier où elle exploite d’autres ressources avec autant d’à-propos dramatique que de prudence vocale.

C’est dans la sobriété salutaire de la mise en scène du maître des lieux qu’évoluent les personnages. Avec la complicité d’Andreas Reinhardt pour les costumes et les décors, Nicolas Joel pose les chanteurs sur une mer stylisée en un triangle central pointant vers le public, doté de deux ailes, qui permet une ondulation flottante du sol sur tout l’Acte I. Les lumières de Vinicio Cheli peaufinent le mystère d’une représentation ou l’on assiste au lever de la pleine lune, au plus fort de son rayonnement lorsque s’épanouit le thème du philtre. Isolde arbore une robe blanche, des collants et des chaussures rouges que l’on devine, laissant le sang et la mort, ou encore la pureté et la passion, côtoyer son costume (de fait, au dernier acte, le rouge envahira toute sa tenue). Avec l’acte du Roi, le ciel s’étoile poétiquement sur un espace inerte où bientôt se déposent les feuilles lasses des âpres reproches de Marke, durant lesquels Kurwenal se dépouille des insignes de sa fonction militaire, se plaçant ainsi, dans une lenteur d’autant émouvante, du côté de Tristan - c’est l’homme qui apparaîtra désormais, l’ami avant tout, les aveux presque amoureux du Roi incitant à cette prééminence. Ce sera la seule affirmation d’un spectacle qui préfère subtilement suggérer que dire.

En fosse, à la tête des musiciens de l’Orchestre National du Capitole, l’interprétation brillante de Pinchas Steinberg, indescriptible ghazel, suffit à révéler les arcanes amoureux de chacun des protagonistes, mais aussi l’inévitable cours du destin (certes, Brangäne mélangea les flacons, faisant d’un désir de mort un désir d’amour, mais, au bout du compte, c’est bien la mort qui referme la page). Avec une distribution d’un tel format, le chef ne se prive pas de laisser s’épanouir hardiment son expressivité, jusqu’à l’indicible recueillement du début du dernier acte.

BB