Chroniques

par katy oberlé

Tristan und Isolde | Tristan et Iseult
opéra de Richard Wagner

Oper, Francfort
- 19 janvier 2020
une nouvelle production de "Tristan und Isolde" à l'Opéra de Francfort....
© barbara aumüller

Après la reprise réussie de Radamisto d’Händel hier [lire notre chronique de la veille], l’institution de la Willy-Brandt-Platz revêt aujourd’hui ses allures de grand soir, avec une nouvelle production de Tristan und Isolde à l’affiche – l’occasion est rêvée de retrouver Sebastian Weigle, encore directeur musical de l’Opéra de Francfort, dans ce répertoire où il a souvent montré qu’il avait quelque chose à dire [lire nos chroniques de Die Feen, Die Meistersinger von Nürnberg, Das Rheingold, Die Walküre, Siegfried, Götterdämmerung et Tristan und Isolde]. Au pupitre, il fait du Frankfurter Opern– und Museumsorchester le personnage principal de toute l’action, dans une version que caractérisent des tempi rapides, ce qui provoque une expérience plus dramatique que mystique – pourquoi pas ?... Commencé dans une transparence venue de la musique de chambre, le Prélude du premier acte, articulé avec beaucoup de sensibilité, avance dans un mouvement de plus en plus fluide, traversé par la passion. Il ne s’agit alors plus d’accompagner l’argument mais d’en générer complètement la fluctuation émotive. Avec la bonne complicité de ses musiciens, le Berlinois signe une interprétation efficace, l’orchestre devenant l’élément le plus fort de la soirée.

La partie vocale est moins heureuse. S’il est juste de féliciter l’excellent travail des artistes du Chor der Oper Frankfurt, et de leur chef Tilman Michael, dans des interventions que marquent la fiabilité, la précision et, surtout, la superlative musicalité, l’inégalité des solistes laisse l’auditeur sur sa faim. En Tristan, Vincent Wolfsteiner [lire notre chronique de De la maison des morts] possède une louable expressivité et il serait mal venu de lui reprocher l’engagement qu’il met à défendre le rôle. Mais si la diction est remarquable, la gestion des aigus laisse à désirer, et l’on frise souvent l’accident d’intonation. L’Isolde glaciale de Rachel Nicholls [lire nos chroniques du 21 février 2015 et du 12 mai 2016] ne chante vraisemblablement pas en langue allemande et l’acidité de sa voix ne convient qu’à la furie de la captive, au premier acte. C’est triste à dire, mais c’est donc hors du couple-titre qu’on trouve quelque satisfaction.

On découvre le Steuermann élégant et frais de Liviu Holender, par exemple – un artiste à suivre ! –, et le vaillant ténor de Michael Porter en Seemann très nuancé [lire notre chronique des Cantatrici villane]. Comme lui membre de l’Opernstudio francfortois, le jeune Tianji Lin campe un Hirte lumineux et très sonore [lire notre chronique d’Artaserse]. Quant au rôles plus conséquents, on prend plaisir à entendre le baryton cuivré d’Iain MacNeil, Melot bien projeté qui en impose [lire notre chronique de Capriccio], et à retrouver la souplesse, le velours et l’autorité de Christoph Pohl en fidèle Kurwenal [lire nos chroniques de Capriccio, Tannhäuser, Les Troyens, Parsifal et Beatrice Cenci]. Le phrasé généreux et la douceur de timbre de Claudia Mahnke font de Brangäne une présence maternante et inquiète dans l’entourage des amoureux [lire nos chroniques de Tristan und Isolde, Les Troyens, L'Africaine et Il trittico], tandis que la basse luxuriante d’Andreas Bauer Kanabas sert avec bonheur le rôle de Marke, sans pathos mais à l’aide d’une couleur sombre, d’une palette très diversifiée de nuances et d’une puissance idéale [lire nos chroniques de Don Giovanni, Les voyages de Monsieur Brouček, Le joueur, Die Zauberflöte et Lucrezia Borgia].

Sur le plateau, la proposition de Katharina Thoma n’a rien de mémorable, franchement. La metteure en scène occupe l’espace dès le Prélude en faisant mimer ce qui s’est produit avant le début de l’opéra, lorsque Tantris blessé fut soigné par Isolde. Dans le décor de Johannes Leiacker [lire nos chroniques de Rigoletto, Les vêpres siciliennes, Cavalleria rusticana, Hamlet, La Juive, Ariodante et I puritani], réduit à l’essentiel – une barque : par elle la princesse est conduite vers Marke, puis sur l’île des amours avec Tristan, enfin c’est le véhicule par lequel elle rejoint le mourant, donc un vaisseau de mort qui, pour finir, lui fait aussi franchir le Styx –, l’action se déroule ensuite dans une succession d’appuis dramatiques plutôt lourds (le philtre est un bon vieux whisky d’Irlande, par exemple). Rien de plus notable dans les costume d’Irina Bartels. La lumière léchée d’Olaf Winter [lire nos chroniques de Wozzeck, Die Frau ohne Schatten, A village Romeo and Juliet, Lohengrin, La passagère et Otello] permet de passer un moment agréable, tout de même.

KO