Chroniques

par françois cavaillès

trois concerti pour un soir
Gari Antonian, Alexander Gadjiev et Luisa Sello jouent Vaja Azarashvili,

Carl Philipp Emanuel Bach, Dmitri Chostakovitch et Antonio Vivaldi
Batumi Black Sea Music A’d Art Festival / Théâtre Tchavtchavadzé, Batoumi
- 2 septembre 2019
Le pianiste Alexander Gadjiev joue le 1er Concerto de Chostakovitch à Batoumi
© batumi black sea music a’d art festival

Jour de pluie sur Batoumi, dans les pas de Chostakovitch qui, entre une partie de volley et la nage en mer Noire, donnait pour nouvelle (dans une lettre du 30 octobre 1931 citée par la biographe Laurel Fay) d’avoir terminé la partition pour piano du premier acte de l’opéra Lady Macbeth de Mzensk. Aujourd’hui, dans une ville et un théâtre bien rénovés, c’est avec ferveur qu’on semble attendre le Concerto pour piano, trompette et cordes en ut mineur Op.35 n°1 (1933) proposé au Batumi Black Sea Music A’d Art Festival.

Dès l’accroche, d’un piano rieur et d’une trompette éclatante, il s’agit bien du premier concerto pour piano du jeune Dmitri, tout juste marié à Nina, donné sur un grand écart musical. Aussi mélodieux qu’impétueux par la suite, le jeu d’Alexander Gadjiev est une superbe révélation. Toujours inspiré, véloce, survolté ou assagi, le pianiste signe avec rigueur un premier mouvement également très animé par l’excellent trompettiste Gari Antonian, ainsi que par les cordes émouvantes que dirige David Mukeria [lire notre chronique de la veille]. Sombre sérénité et poésie vivante exhalées par le Lento, les attaques, cavalcades bride abattue et explosions incendiaires nourrissent l’Allegro con brio pour parvenir au magnifique effet final, démentiel et magistral. Emportée par ces coups de tonnerre sensationnels, mais sensible au goût étrange et prononcé de l’art intègre de Chostakovitch, une ovation salue notamment la formidable performance de Gadjiev, soliste à ne pas manquer à Paris cet automne. En bis, le jeune Italien d’origine russe prolonge le geste furieux et salvateur par une version gourmande et corsée de Mazeppa de Liszt. D’une rude chevauchée, grondant à travers les gorges d’un désert, le propos s’écoule comme naturellement vers une mélodie déjantée et triomphale – bravo !

D’un compositeur soviétique à l’autre, la soirée s’est ouverte tout en douceur et sans bavure avec le petit Nocturne pour cordes (1987) de Vaja Azarashvili (né en 1936), dans l’intérêt principal et croissant – espérons-le pour l’avenir du festival – de mettre à l’honneur les grandes pages géorgiennes. À la programmation revient aussi le mérite d’entrelarder son discours caucasien de citations baroques, grâce à l’apport enflammé de la flûtiste Luisa Sello. Sous le charme de musiciens bien dans le rythme dansant, joyeux et de plus en plus complexe, tout l’engouement du Concerto pour flûte et cordes en fa majeur RV 434 (1729) de Vivaldi est facile à comprendre, même recréé ex nihilo de Venise à Batoumi (tel l’inimaginable complexe touristique Piazza, surgi dans la vieille ville). L’ambiance nocturne revient au Largo cantabile, exceptionnelle lamentation capable de méduser.

Conquise, la salle en redemande après le Concerto pour flûte et cordes en ré mineur Wq 22 (1747) de Carl Philipp Emanuel Bach, lancé sur les bases d’un brillant exercice en contrepoint (Allegro), puis rempli de charme époustouflant, de caresse spirituelle, de mélancolie soudaine, de transport lyrique... En fin de compte, puissant et passionné, c’est Orphée dynamité qu’on encense : gmadlobt mosvlisatvis Luisa.

FC