Chroniques

par françois cavaillès

Valer Barna-Sabadus et l’Akademie für Alte Musik Berlin
airs pour les castrats Carestini et Salimbeni

Festival de l’Abbaye de Saint-Michel en Thiérache
- 9 juin 2019
Valer Barna-Sabadus chante Caldara, Gluck, Graun, Händel et Jommelli
© géraldine beys

Le contreténor allemand Valer Barna-Sabadus arrive en Thiérache peu avant le second concert dominical. Il est précédé d’une excellente réputation, parmi la critique comme dans le public [lire nos chroniques du 14 août 2012, du 9 juillet 2013, des 22 juillet et 26 novembre 2014, des 22 avril et 16 septembre 2016, enfin des 13 janvier et 14 septembre 2018]. Que la musique commence, au son compact de l’Akademie für Alte Musik Berlin, et le caractère romanesque, médiéval, de l’Ouverture de l’opera seria händelien Ariodante (1735) lui sied volontiers, comme le héros attendu à l’orée profonde et frissonnante d’un sous-bois. Le prince amoureux s’annonce dans la ferveur, exprimée particulièrement par le violon agile et clair du géant Konzertmeister Bernhard Forck, à l’émission ferme et corsée.

Sitôt remarqué qu’il porte bien la toilette, semble très jeune, fort avenant et presque timide, Valer Barna-Sabadus montre rapidement l’exactitude du timbre et l’aisance dans l’épique Con l’ali di costanza (Avec les ailes de la loyauté), air de bravoure d’Ariodante, à faire chavirer les cœurs, pour lancer, tel un sourire confiant, son ambitieux programme d’airs de castrat à l’aune de Giovanni Carestini (1705-1760) et Felice Salimbeni (1712-1755), grandes vedettes italiennes du XVIIIe siècle. Vocalises pures et enlevées, jeu et diction impeccables, souffle divin comme les cordes chez Händel : voilà bien un chanteur sûr de ses moyens, virtuose et idéalement lyrique, généreux et magistral jusque dans l’envoi final.

Même réussite, avec une conclusion plus légère, et magnifique pour l’extrait du Ciro riconosciuto (1736) de Caldara, qui laisse le public absorbé saisir l’éclair enchanteur au premier mot – parto, doux sésame du voyage – puis suivre la flamme qui vacille avec aisance. Mais d’une superbe attaque vivace, puis dans de puissants virages, l’ensemble berlinois prend soudain le devant de la scène pour tendre l’embuscade de la Symphonie en ré majeur pour deux cors, cordes et basse continue d’Holzbauer (1711-1783). L’allégresse débridée et le violent dynamisme brisent définitivement la glace, avant qu’un prélude mélancolique ramène le chanteur héroïque et confident pour Vorrei spiegar, tiré de la Semiramide riconosciuta (1742) de Jommelli. Audacieuse et très opératique dans la fugue, puis d’une délicieuse langueur fondante comme dans la brume d’un halo, la voix paraît unique et vouée au succès.

La vaillance et le brio, dans l’air endiablé Scherza il nocchiere talora du Demetrio (1742) de Gluck, se tiennent sur le fil d’une poursuite sensationnelle, sans faute, et achevée de manière presque surhumaine. Puis le timbre doré se repose, le temps d’un entracte. La paisible Symphonie en fa majeur pour deux cors, cordes et basse continue de Johann Gottlieb Graun (1703-1771) est une autre belle découverte, tout comme la manière du cadet Carl Heinrich Graun (1704-1759), avec une scène poignante d’Alessandro e Poro (1744) puis l’air Misero pargoletto de Demofoonte (1746), déchirant et somptueux, par un chanteur en état de grâce.

L’encens est à peine dissipé par la traversée tonitruante, puis placide d’un sublime navire, à savoir la Symphonie en ré majeur pour deux cors, cordes et basse continue du Berlinois Johann Philipp Kirnberger (1721-1783), remarquable élève de Bach. Assurément, le concert défend à merveille l’esprit aventurier des compositeurs allemands dignes représentants d’un siècle extraordinaire. Ainsi l’air Questa fronte e questo petto, signé Carl Heinrich Graun (Lucio Papirio, 1744), trouve-t-il de formidables interprètes pour donner la proportion d’un océan au courage du consul romain Quintus Fabius Maximus Rullianus, sur la voie du triomphe.

Enfin, retour à Ariodante comme à la maison pour Scherza finda. À l’avant-scène devant l’ensemble délicat, le basson planant de György Farkas accompagne sur la Thiérache grise le chant majestueux, devenu plus sanguin, plus serein et tout à fait victorieux. Pour ultimes vérifications, deux bis ravageurs sont offerts avec gratitude, modestie et humour au public uni dans l’ovation debout – royal Crude furie (Händel, Serse), comme ensorcelé, et le bref mais transcendant Vedro con mio diletto de Vivaldi... Impérial, Valer Barna-Sabadus !

FC