Chroniques

par gilles charlassier

Veriko Tchumburidze, Eesti Riiklik Sümfooniaorkester, Olari Elts
œuvres d’Arvo Pärt, Jean Sibelius et Erkki-Sven Tüür

Festiwal Eufonie / Filharmonia Narodowa, Varsovie
- 24 novembre 2021
Au festival Eufonie de Varsovie, Veriko Tchumburidze joue Sibelius
© dr

Au carrefour de l’Europe centrale et de l’Europe de l’Est, la Pologne constitue l’un des porte-paroles privilégiés de la culture de cette partie du continent, à l’histoire agitée. C’est pour pallier la lacune d’un festival dédié à la musique et aux musiciens de cette aire transnationale que Varsovie a initié Eufonie en 2018, avec le soutien du Narodowe Centrum Kultury, le Centre national pour la culture de Pologne. Comme un prélude à la commémoration du bicentenaire de la publication de l’acte fondateur du Romantisme polonais, le recueil Ballady i romanse (Ballades et romances) d’Adam Mickiewicz, le plus grand poète du pays et l’un des auteurs majeurs de l’histoire européenne aux côtés de Dante, de Shakespeare ou d’Hugo, la troisième édition de ce rendez-vous de la fin d’automne – après une année blanche en raison de la crise sanitaire –, et la première depuis la disparition de la figure tutélaire de Krzysztof Penderecki, a été placée sous le signe de la veine romantique, au delà de ses grandes incarnations et jusqu’en ses déclinaisons contemporaines.

Le concert d’aujourd’hui, dans la grande salle de la Philharmonie de Varsovie, fait escale en Finlande et en Estonie, avec l’Orchestre Symphonique National Estonien, l’Eesti Riiklik Sümfooniaorkester (ERSO), placé sous la baguette d’Olari Elts, son directeur musical. Le programme s’ouvre sur une pièce de l’Estonien le plus connu de notre temps, Arvo Pärt. Swansong illustre le minimalisme mystique du compositeur. Cet hymne, d’une sérénité non dénuée de sentimentalisme, glisse vers un crescendo fervent, comme un envol figé et ponctué par le tintement doux de cloches tubulaires, et constitue un arrangement orchestral réalisé en 2013 par Pärt lui-même de Little tractus pour chœur et orgue, écrit en 2001 sur des sermons de John Henry Newman, pour le bicentenaire de la naissance du théologien britannique.

Après ce monochrome d’un peu moins de dix minutes conduit de manière bien calibrée, le Concerto pour violon en ré mineur Op.47 de Jean Sibelius fait valoir la plénitude chatoyante de l’archet de Veriko Tchumburidze, face à une réponse orchestrale robuste, presque massive parfois, mais sans jamais écraser la soliste. Si la lisibilité et la souplesse de la phalange ne manque pas dans l’Allegro moderato, on retiendra l’épanouissement du lyrisme du violon dans l’Adagio di molto, sans complaisance expressive et rehaussé par un écrin délicat, avant l’étourdissement du rondo final, Allegro, ma non tanto, qui n’oublie pas la sincérité de l’émotion.

Au retour de l’entracte, l’orchestre estonien défend un autre représentant de la musique d’aujourd’hui de son pays, avec Tormiloits, Incantation of Tempest d’Erkki-Sven Tüür (né en 1959). Cette courte page affirme une pulsation puissante, sinon obsédante, où les scansions des cuivres et de quelques percussions se superposent aux traits des cordes dans une progression conduite avec vigueur. L’allure un peu monolithique, articulée autour de l’impact rythmique, témoigne sans doute des affinités du compositeur avec l’univers du rock – il fut par ailleurs guitariste.

La soirée se referme de l’autre côté de la Baltique, avec un retour à la Finlande de Sibelius : l’une de ses plus magistrales symphonies, la Cinquième en mi bémol majeur Op.82. Dès le premier mouvement (Tempo molto moderato), la précision de la palette et de la sonorité dense façonne un paysage sonore aux dimensions de l’espace et de la lumière lapons, laquelle s’étire dans les interminables crépuscules de l’été boréal à la fin du final, tandis que l’attention au frémissement des coloris magnifie un Andante mosso, quasi allegretto, mené avec un allant délié. En bis, le chef se montre généreux, après pas moins de trois pièces : la troisième des Quatre danses polonaises de Tadeusz Szeligowski (1896-1963), la Polonaise tirée la Suite n°1 eesti rahvaviisidest (sur des thèmes populaires estoniens) d’Artur Kapp (1878-1952) et la Setu tants (Danse setu) de la Suite de danses estoniennes d’Eduard Tubin (1905-1982), offrant ainsi un kaléidoscope habilement réparti entre le pays hôte et sa patrie.

GC