Chroniques

par isabelle stibbe

Werther
opéra de Jules Massenet

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 6 mars 2009
© bernd uhlig | opéra national de paris

On s’attend peu à un parallèle entre Britten et Massenet. C’est pourtant l’étrange association qui vient à l’esprit au premier acte de Werther. Comme Albert Herring [voir notre chronique du 28 février], Charlotte est victime de la volonté de sa mère qui l’empêche de suivre ses propres désirs. C’est en effet pour tenir la promesse faite à sa mère mourante que Charlotte épouse Albert et tient à distance son amour pour Werther, point de départ du drame que décrit l’opéra inspiré du roman de Goethe.

Depuis le 28 février, la production bavaroise montrée par l’Opéra national de Paris [lire notre chronique munichoise du 21 juillet 2007] alterne deux versions de Werther : celle habituellement donnée pour ténor, avec Rolando Villazon dans le rôle-titre ; l’autre pour baryton, chantée par Ludovic Tézier. La première devait être inaugurée par le Franco-mexicain mais, le ténor ayant déclaré forfait en raison de problèmes de santé, c’est le Français qui eut l’honneur de débuter la série de représentations. On aurait été curieux de découvrir sa version, d’autant que le timbre de baryton se prête assez bien aux tourments du jeune Werther. Mais le 6 mars, Villazon est de retour, laissant à Tézier le court rôle d’Albert.

Quelle déception ! Le ténor, souvent comparé à Placido Domingo, n’en a ni la longévité ni la prestance. Au bout de dix ans de carrière, sa voix accuse un manque de puissance d’autant plus gênant face à la flamboyance de sa partenaire Susan Graham. Le chanteur compense par une gestuelle excessive ce que sa voix n’apporte pas : une couleur sombre dont le tragique ferait sentir le frôlement constant avec la mort. Du coup, sa prestation scénique tient parfois du carnaval, comme lorsqu’il se jette sur Charlotte pour un baiser qui se voudrait fougueux mais n’est que ridicule. Quant à sa prononciation du français, elle est incompréhensible, d’autant que le chanteur, recherchant la clarté, ouvre trop les nasales, les on devenant par exemple systématiquement des a.

À l’inverse, Susan Graham (Charlotte) offre un timbre superbe, généreux et rond. L’air des lettres au troisième acte est un sommet d’émotion. La ligne de chant dénote une grande familiarité avec la musique française. Sa petite sœur Sophie est interprétée par la charmante Adriana Kucerova, dotée d’une voix à suivre : aigu lumineux et médium intéressant. Dommage que sa piètre diction empêche une adhésion totale.

Ludovic Tézier compose un Albert très musical et rend lisible l’évolution de son personnage : du jeune marié tout heureux de sa bonne fortune, il se fait finalement plus impérieux avec elle, comme s’il s’était habitué à son rôle de mari et en prenait les prérogatives. Alain Vernhes chante un bailli très crédible. S’il allonge un peu trop les récitatifs au premier acte, il ne sort pas moins du lot face à ses comparses Christian Jean (Schmidt) et Christian Tréguier (Johann) aux voix titubantes.

La mise en scène de Jürgen Rose, assez classique, ne dérange ni n’enthousiasme. Les murs couverts de graffiti envahissent un peu trop l’espace et quelques lourdeurs sont à déplorer, comme des arrêts sur image pendant lesquels l’action se fige, ou encore un rocher à la symbolique pesante au centre de la scène.

Plus intéressante est la direction de Kent Nagano à la tête de l’Orchestre de l’Opéra national de Paris. Le chef traite la partition avec beaucoup de respect, attentif à retenir la fosse afin d’éviter les débordements lyriques si faciles avec ce sommet du romantisme français. Cela n’empêche pas les violons de se surpasser, offrant tendresse et moelleux dans une douceur mélancolique. De quoi espérer qu’on ne doive pas attendre encore vingt-cinq ans avant que ne soit redonné ici Werther.

IS