Chroniques

par bertrand bolognesi

Wozzeck
opéra d’Alban Berg

Opéra de Marseille
- 18 mars 2011
Jossten place Wozzeck sous un échangeur autoroutier
© christian dresse

Trente ans ont passé depuis que le public phocéen vit in loco le premier opéra d’Alban Berg. Aussi les quatre représentations de cette coproduction avec l’Opéra des Flandres est-elle bienvenue, l’on s’en doute. D’autant bienvenue qu’au préjugé qui croyait pouvoir entendre à l’avance moyenne la prestation de l’orchestre maison, les musiciens marseillais répondent par une fosse tout à la fois en progrès et passionnément expressive. À leur tête, Lawrence Foster favorise l’âpre, le rugueux, la corrosion, plutôt qu’un lyrisme hérité des romantiques que ne désavoue pas cette partition essentielle du XXe siècle. Volontiers sèche, acide, cette sonorité force l’écoute vers la dramaturgie jusqu’en ses traits solistiques, tragiques toujours. Tout au long d’une représentation ininterrompue, révélant une fois de perfection formelle de l’œuvre, le ton s’affirme d’une leste gravité.

Dans une même urgence – celle que déplore le Capitaine qui, en dernier recours, après avoir joui de l’horreur, finit par brailler Schnell ! – évoluent des voix bien distribuée dans l’ensemble. Si Hugh Smith paraît un rien terne en Tambour-major, Thorsten Büttner s’avère un Andres plus qu’honorable, sainement clarteux et puissant. Frode Olsen livre un Docteur à la vocalité confortable, Till Fechner est un Premier ouvrier fermement phrasé, tandis qu’à l’Idiot Stuart Patterson prête une voix étrangement droite, glaciale, idéale dans l’option de mise en scène (nous y reviendrons). Trois voix dominent le plateau : le lyrisme opulent de Cécile Galois qui donne une Margret passionnante dans le Lied du dernier acte, l’extrême fiabilité d’Andreas Scheibner dans le rôle-titre et, surtout, la couleur sombre et la fascinante présence, tant musicale que théâtrale, de Noëmi Nadelmann en Marie [lire notre critique du DVD Rinaldo].

L’Anversois Guy Joosten n’a pas pour habitude de confiner ses productions dans un bon ton convenu, on le sait – par exemple, son Freischütz [lire notre chronique du 21 janvier 2004]. C’est sous un échangeur autoroutier qu’il situe l’action, aux abords d’une tente de fortune, dans un aréopage de marginaux. Sur Wozzeck il porte un regard plus radical encore que ceux que l’on put rencontrer (y compris celui de Godefroid, il y a une dizaine d’années, à Nantes – et ce n’est pas peu dire). Ainsi l’enfant du couple n’est-il qu’un landau symbolique que bercera, quand le drame se resserre, un inquiétant ange noir, bientôt identifié comme l’Idiot du bal, un ange noir auquel il confie de conclure le spectacle, chantant seul la partie initialement conçue pour les garnements jusqu’au terrible hop ! hop ! définitif. Pertinent, le propos, contrairement à ce qu’on en songera de prime abord, inscrit finalement Wozzeck dans une confuse parabole qui sent soudain sa caresse. Dommage, car si c’était pour en arriver là, à quoi bon s’évertuer au trash jusqu’à la redondance pendant une heure quarante ?

BB