Chroniques

par bertrand bolognesi

Z mrtvého domu | De la maison des morts
opéra de Leoš Janáček

Opéra national de Paris / Auditorium Bastille
- 21 novembre 2017
reprise du Janáček de Chéreau (Aix, 2007) par l'Opéra national de Paris, en 2017
© opéra national de paris | elisa haberer

Une triste nouvelle marque la date du 7 octobre 2013. Ce jour-là, le metteur en scène français Patrice Chéreau, atteint au poumon d’un cancer, s’éteignait à l’âge de soixante-huit ans. Avec cette disparition, c’est la grande aventure des Amandiers qui entrait dans l’Histoire, et bien d’autres événements, comme la révélation du théâtre de Bernard-Marie Koltès et quelques spectacles inoubliables – Hamlet en Avignon puis à Nanterre, Phèdre aux ateliers Berthier, etc. Au cœur des années soixante-dix, Chéreau se confronte au septième art. Avec son sens aigu de la direction d’acteurs, il exporte un savoir-faire inattendu au cinéma, de la même manière que cette nouvelle expérience nourrirait plus tard, en termes de proportions, son approche du genre lyrique – plutôt que La reine Margot, il faut revoir La chair de l’orchidée et L’homme blessé.

De prime abord l’on put s’étonner du choix d’ouvrages légers dans ses premiers essais à l’opéra. C’était sans compter avec la façon quasi révolutionnaire dont la gravité essentielle de ses travaux allait s’emparer des Contes d’Hoffmann, après une Italiana in Algeri moins radicale. Le grand œuvre survient en 1976, au Bayreuther Festspiele, où il signe le fameux Ring du centenaire, qui fit scandale sur la colline sacrée. Pierre Boulez, à l’origine du projet en figure de proue de la modernité et en amoureux du théâtre, est au pupitre. Parce qu’un rideau de fer sépare le monde, de sorte que l’Ouest n’a pas connaissance de celle de Joachim Herz qui, à Leipzig trois ans plus tôt, interrogeait histoire, économie et politique au fil d’une investigation marxiste proche de la future proposition du Français (la critique de la société industrielle du XIXe siècle est le moteur principal de ces deux moutures), la Tétralogie de Chéreau bouleverse la sphère wagnérienne, à tel point que plusieurs productions à venir se définiront dans son sillage ou en réaction, donc toujours en référence à celle-ci. Quatre décennies plus tard, après la mémorable Lulu de Berg complétée par Friedrich Cerha créée au Palais Garnier en 1979, le chef et le metteur en scène se retrouvent à Vienne puis au Festival d’Aix-en-Provence pour De la maison des morts, ultime opéra de Leoš Janáček (1928).

Depuis le 18 novembre, la Bibliothèque nationale de France et l’Opéra national de Paris rendent hommage à Patrice Chéreau à travers une vaste exposition qui, grâce à des documents inédits de plusieurs natures, permet au public de pénétrer dans l’atelier de l’artiste (à voir à la Bibliothèque-musée du Palais Garnier, jusqu’au 3 mars 2018). Car si sonItaliana de 1969 eut lieu à Spolète, notre première maison d’opéra produit dès 1974 sa deuxième mise en scène lyrique (Les contes d’Hoffmann), puis Lulu cinq ans plus tard, accueillant plus récemment son Così fan tutte aixois de 2005. Le soir-même, le rideau de Bastille s’ouvrait sur la reprise de la dernière collaboration Boulez/Chéreau. Dérogeant à notre règle de ne pas rendre compte de la reprise d’un spectacle déjà chroniqué – exceptionnellement ce fut fait pour le Ring de Günter Krämer qui évoluait en work in progress [lire nos chroniques du 3 juin 2011 et du 3 juin 2013] –, nous retrouvons aujourd’hui De la maison des morts, avec cette deuxième des six représentations données jusqu’au 2 décembre, à aborder désormais comme un document vivant qui fait partie de l’exposition.

Sans manquer de louer l’impressionnante prestation chorale menée par José Luis Basso ni d’applaudir les incarnations évidentes de Štefan Margita (Kouzmitch), Aleš Jenis (Don Juan, Brahmane) et Ladislav Elgr (Skouratov), ainsi que de remercier les excellents Eric Stoklossa et Peter Mattei dont les Alieia et Chichkov donneraient presque le frisson, force est de constater la délicatesse, sinon le péril, de retrouver à dix ans de distance une production qui avait bouleversé. Aussi l’honnêteté intellectuelle conduit-elle à ne pas taire une déception qui ne relève en rien de la qualité de cette reprise. Certes, la lecture d’Esa-Pekka Salonen paraît demeurer à la surface ; certes la geste de Chéreau semble affrétée par Peter McClintock et Vincent Huguet de manière plus royaliste que le roi ; certes Willard White livre un Goriantchikov assez terne et peu habité… Loin d’accuser artistes et maîtres d’œuvre de l’événement, il faut pointer le chroniqueur lui-même. Vraisemblablement victime du souvenir édifié au rang de référence par le grand choc émotionnel de la première fois [lire notre chronique du 16 juillet 2007], il est déçu, voire mauvais juge, car il ne peut en aller autrement, partant que l’expérience n’est pas effaçable.

BB