Chroniques

par Laurent Bergnach

Édith Canat de Chizy
La loi de l’imaginaire

Aedam Musicae (2021) 202 pages
ISBN 978-2-919046-89-8
Édith Canat de Chizy raconte à Michèle Tosi son parcours de compositrice

Connue pour rendre compte, avec régularité, des événements de la musique d’aujourd’hui – dans ces mêmes colonnes, notamment, avec les créations mondiales de Fin de partie (György Kurtág) ou de Kim Vân Kiêu (Bernard de Vienne) [lire nos chroniques du 17 novembre 2018 et du 9 décembre 2017], Michèle Tosi l’est aussi pour ses entretiens, de plus en plus fréquents, avec les compositeurs – comme en témoigne la rubrique idoine de notre confrère Hémisphère son. C’est Édith Canat de Chizy qu’elle questionne dans cette nouvelle parution Aedam Musicae, laquelle marque la rentrée musicale à l’unisson de la création mondiale de sa pièce pour chœur mixte et orchestre, Apocalypsis, à l’Arsenal de Metz [lire notre chronique du 17 septembre 2021].

Dernière de cinq enfants, Édith Canat de Chizy profite dès le berceau des sons de piano que jouent ses sœurs dans une famille mélomane. Cette « première expérience du timbre » se prolonge par l’apprentissage du violon, puis par celui du chant au sein de La Cigale de Lyon, un chœur d’enfants professionnel. À dix-huit ans, elle gagne Paris. Elle y poursuit des études à la Sorbonne (Histoire de l’Art, Philosophie) et au CNSM où, parmi tous ses professeurs (Bernard, Bitsch, Constant, Crépy, Rueff, etc.) se détachent l’enseignement d’Ivo Malec et, surtout, celui de Maurice Ohana, venu en remplacement. Des années après la biographie co-signée par son époux [lire notre critique de l’ouvrage], elle redit son attachement pour cet intuitif « plus sensible à la couleur qu’à la conception formelle » qui contribua à la première d’une longue liste de commandes. La reconnaissance venue, de même qu’elle a fréquenté quelques institutions parisiennes pour explorer le son (GRM, Ircam), c’est en passeuse de savoir qu’elle en intègre d’autres, comme enseignante voire directrice. Pour elle qui se souvient de la classe de fugue qui l’initia à la notion de trajectoire, nul doute que l’écriture est un métier qui s’apprend. On apprécie particulièrement l’initiative d’un invité trimestriel reçu dans sa classe de composition (Bedrossian, Campo, Combier, Durieux, etc.), qui dut plaire aux anciens élèves dont cinq s’expriment dans le chapitre consacré à la transmission (Cabanzo, Escande, Rotella, Roulive et Trollet).

En lien avec la spiritualité – voire « toutes les spiritualités (poétiques, sensuelles ou mystiques) », comme l’avance l’organiste Jean-Christophe Revel –, le travail de la compositrice est évidemment ausculté au fil des rencontres avec la musicologue, pour mettre à jour des points forts (richesse des textures, polyrythmies, etc.) et un but avoué : sur les pas de Malec, « hauteur, rythme et techniques de jeu sont mis au service du timbre ». En particulier, Édith Canat de Chizy dit son goût pour la vibration. Celui-ci explique une prédilection pour certains instruments – orgue et accordéon de nos jours, percussion depuis toujours – et ses choix dans l’approche de la voix (idiomes favoris, grommelot, etc.) ou dans celle des cordes (harpe jouée avec une tige de métal, cymbalum touché par les pouces ou l’archet, etc.). En écho au titre du livre, elle résume : « j’excite mon imaginaire pour dépasser l’artisanat besogneux et penser le mouvement en termes d’énergie et de matière ».

Complétées par une série de témoignages (Corti, Valade, etc.), un catalogue chronologique des œuvres (1982-220) et une discographie, entre autres, voici donc une somme de réflexions et d’analyses qui méritent notre attention. Elles concentrent l’expérience d’une femme indépendante de nature, laquelle a trouvé son propre chemin à l’instar de ses modèles de jeunesse, Varèse, Xenakis et Ligeti, « explorateurs qui ont œuvré hors de tout académisme ».

LB