Chroniques

par hervé könig

Alberto Ginastera
œuvres pour orchestre

1 CD Bridge (2003)
9130
Alberto Ginastera | œuvres pour orchestre

Dans un programme consacré au compositeur argentinAlberto Ginastera, le Vénézuélien Jan Wagner dirige l'Orchestre Symphonique d'Odense – officiellement fondé au Danemark en 1946, mais en activité depuis 1800 déjà –, dont il est le chef titulaire depuis la saison 1997-98. Il y propose une lecture précise usant volontiers des nombreux effets que cette musique offre à l'interprète. Avec des ensembles plutôt réussis et des interventions solistes soignées, ces quatre œuvres constitueront une belle approche de l'écriture d'orchestre de l'auteur.

Né à Buenos Aires en 1916, Ginastera est une figure significative de la musique argentine du XXe siècle. Son intérêt pour le folklore de son pays en fait l'équivalent de Bartók ou Kodaly pour la Hongrie. Lui-même divise sa vie créative en trois périodes : celle du naturalisme subjectif s'appuie directement sur la musique folklorique argentine, celle du naturalisme objectif comporte ce même genre d'éléments mais adaptés à son langage personnel, et enfin, celle d’un néo-expressionnisme, plus dramatique, qui recherche l'universalité. Les morceaux réunis sur ce disque datent de la première moitié de sa vie (le compositeur est mort en 1983) et témoignent de son évolution musicale.

En 1941, après le succès de son premier ballet Panambi (1935-37), on commande à Ginastera une seconde musique de ballet. C'est ainsi que naquit Estancia, pièce en un acte et cinq tableaux, sur la dure existence des gauchos, dans cette mer végétale qui couvre près d'un cinquième du territoire qu'est la Pampa. Le ballet ne sera monté qu'en 1952, mais entre-temps, son créateur en extrait une suite orchestrale en quatre mouvements que Ferrucio Calusio dirigera pour la première représentation du 12 mai 1943. La même année, il compose l'Ouverture pour le Faust Créole (Obertura para el Fausto Criolla). La vie des gauchos y est de nouveaux évoquée – l'un d'eux, un Créole, voit à Buenos Aires une représentation du Faust de Gounod –, cette fois sur une musique européenne, qui multiple les références à l'opéra du Français. Le tout reste cependant arrangé au style du pays.

Si Ginastera n'a jamais écrit de symphonie, Ollantay, en trois mouvements, est un travail qui s'en approche. Composée en 1947, l'œuvre s'inspire d'un ancien poème inca qui traite de la mort d'Ollantay, fils de la Terre entré en rivalité avec Inca, fils du Soleil ; elle est créée le 29 octobre 1949. C'est moins un poème symphonique qu'un triptyque au langage plus austère que celui des œuvres précédemment citées. Le premier mouvement, mélancolique et pastoral, plante le décor. Le suivant, bâti autour d'un ostinato dynamique, présente les guerriers et leur conflit. On y entendra facilement l'influence qu'a pu exercer sur Ginastera Le Sacre du printemps de Stravinsky. Le dernier mouvement est une puissante lamentation funèbre, proche du Sacre elle aussi, s'ouvrant sur un adagio de cordes extrêmement romantique.

Le 20 octobre 1954 est créé Pampeana n°3, après Pampeana n°1 (1947) et n°2 (1950). Sous-titré Symphonie Pastorale, c'est également un triptyque dont la construction ressemble beaucoup à Ollantay : deux mouvements lents encadrent un troisième plus rythmique, où l'on reconnaîtra certains traits du Mandarin Merveilleux, créant ainsi un contraste des plus dynamiques. On y entend Bartók et Debussy par endroits, mais aussi l'influence du Malambo, cette danse vive des gauchos qu'on accompagne à la guitare. Le style de Ginastera évolue ici nettement vers les œuvres de la fin, comme la cantate Bomarzo ou l'opéra Beatrix Cenci. La veine des Pampeana finirait par rejoindre en 1960 les mystères d'Ollantay avec la très enthousiaste Cantata para América Magica.

HK