Chroniques

par françois-xavier ajavon

Alla Pavlova
Monolog – Old New York Nostalgia – Sulamith

1 CD Naxos (2006)
8.557574
Alla Pavlova | Monolog – Old New York Nostalgia – Sulamith

Alla Pavlova ne se positionne pas dans l'avant-gardisme musical contemporain, mais comme la digne héritière de l'histoire musicale de ses racines russo-ukrainiennes. Née en Ukraine soviétique en 1952, en pleine effervescence musicale (Prokofiev et Staline composaient encore dans leurs domaines respectifs), elle quitta sa patrie natale pour Moscou en 1961. Diplômée de l'Académie Gnésine en 1983 et élève de Armen Shakhbagian, la belle Alla écrit depuis les années soixante-dix toutes sortes d'œuvres intéressantes pour voix, ensembles de chambre ou grand orchestre. Parallèlement à la construction patiente de ce catalogue, Pavlova mène une carrière de musicologue, notamment en Bulgarie pour le compte de l'Union bulgare des compositeurs (1983-1986), puis pour le Russian Musical Society Board (1986-1990). Ensuite, le contexte lui devenant certainement moins favorable à l'Est, la belle s'autotransfuge aux États-Unis.

Le poignant Monolog pour violon et orchestre à cordes, composé en 2002, est un hommage à la culture slave en général et à son père en particulier. Pavlova explique dans le livret : « [mon père] aimait jouer du violon. Il n'était pas un musicien professionnel mais pour lui la musique était la chose la plus précieuse de l'univers ». Le compositeur écrivit cette pièce de six minutes en quelques jours ; le résultat est convainquant : c'est une œuvre lyrique et subtile, marquée par une nostalgie débordante.

Avec Old New York Nostalgia (suite pour orchestre à cordes, percussions, saxophones et trompettes), Pavlova change de registre et présente une autre facette de son inspiration, liée au jazz, mais reste dans les thématiques de la « mémoire » de soi et des lieux. L'œuvre, découpée en six brèves sections de styles et d'atmosphères très différents, a une durée d'exécution d'environ vingt-deux minutes. La première version d'Old New York Nostalgia, pensée initialement pour piano solo, remonte au milieu des années quatre-vingt dix ; après plusieurs adaptations et ajouts, c'est en 2002 que Pavlova en présente la version provisoirement définitive. From my Mom's photo album est une lamentation sombre et slave que n'aurait pas renié un Aram Khatchatourian. Avec Lazy Morning, The Broadway's Song et Old New York nostalgia, Pavlova développe une veinejazzique, parfois anecdotique, mais pleine de charme. Notons parmi ces mouvements la douce et troublante Lullaby for the twins que Pavlova présente elle-même, dans le livret du CD, comme un hommage aux victimes du 11 septembre 2001 – une tragédie déjà évoquée dans sa Symphonie n°2 « For the New Millenium » [lire notre critique du CD]. On pourra, certes, dénoncer le politiquement correct, mais la musique reste dans l'air, magnifique…

Le gros du programme de ce CD est la suite symphonique Sulamith (quarante-cinq minutes) extraite de la partition composée pour un ballet en 2003-2004. L'argument est emprunté au Sulamith du romancier russe Alexandre Kouprine. La trame principale du récit tourne autour de l'histoire d'amour entre le Roi Salomon et la belle Sulamith, sa servante. Les six sections de cette partition lyrique, parfait exemple du renouvellement et du dynamisme de la musique de scène russe – Pavlova, installée à New York, n'est-elle pas, pour autant, une artiste de l'Est ? –, sont composées de danses symboliques mettant en scène des figures marquantes de la mythologie de l'Égypte ancienne, ainsi que des scènes d'ambiance entre les protagonistes du drame amoureux qui structure le ballet. On reproche souvent à la musique de danse son manque de subtilité, sa dépendance aux mouvements chorégraphiques, son mélodramatisme appuyé ; Sulamith n'échappe pas vraiment à ces écueils, mais Pavlova parvient cependant à composer une fresque orchestrale qui, malgré ses longueurs, ne manque ni d'originalité, ni d'émotions sincères.

Rossen Milanov s'avère irréprochable à la tête du vigoureux Orchestre Symphonique de Moscou (fondé par Samuel Samossoud au début des années cinquante, en pleine gloire du stalinisme) ; irréprochable également : l'enregistrement digital effectué dans un studio de radio en 2004. Le livret, écrit par le compositeur, est disponible en langues anglaise et allemande.

FXA