Chroniques

par laurent bergnach

Antoine Reicha
pièces pour piano

1 CD Chandos (2017)
CHAN 10950
D'Antoine Reicha, Ivan Ilić joue les pièces de la période viennoise (1802-1808)

En 1808, quelques décennies après l’Italien Lully (né Lulli), le Tchèque Antonín Rejcha (1770-1836) s’installe définitivement à Paris et influence à son tour une musique française bientôt aux mains des romantiques Adam, Franck, Gounod, Onslow et Vieuxtemps. Rebaptisé Antoine Reicha, l’ancien membre de l’orchestre de cour de Maximilian à Bonn (violon, flûte), aux côtés de Beethoven (alto), s’affirme en effet un précurseur affranchi. Sa pensée infuse des ouvrages peu académiques (Traité de haute composition musicale, etc.), des cours réputés au conservatoire (contrepoint, fugue) et des partitions inventives, « poussé par le désir de composer quelque chose d’extraordinaire ».

Encore dans l’ombre pour la plupart, ces dernières peuvent se découvrir au travers d’enregistrements en première mondiale, comme c’est ici le cas. Au clavier d’un Steinway de 1999 (no 550629), Ivan Ilić y délaisse le répertoire récent [lire notre critique du CD The transcendentalist] pour graver une majorité de pièces datant des années viennoises (1802-1808), durant lesquelles le Praguois retrouve l’auteur de Fidelio [lire nos chroniques du 29 janvier 2018, 2 juillet 2017, 4 février 2014, 30 mars 2013 et 4 juillet 2011], côtoie Haydn et Salieri.

Publié en 1803, Die practischen Beispiele (Exemples pratiques) se veut « une contribution à la culture du compositeur et de qui veut se distinguer par l’exécution au pianoforte », ainsi que l’indique son titre complet. C’est un recueil de vingt-quatre pièces écrites sur une dizaine d’années, fruit d’expérimentation rythmiques, contrapuntiques ou harmoniques. Ainsi la sympathique Fantaisie sur un seul accord (n°4), un Capriccio (n°7) oscillant entre Bach et Beethoven, et Harmonie (n°20). Livrée avec souplesse et légèreté par l’interprète, cette page recèle divers climats fragmentaires, dont les plus dépouillés annoncent Liszt.

Conçues peut-être en 1805, voici les Grande sonate en ut majeur et Sonate en fa majeur sur un thème de Mozart. Pour la première, servi par une prise de son très claire, Ivan Ilić préfère toujours la franchise au maniérisme, la nuance aux élans virtuoses. Dans la seconde, on apprécie une articulation pleine de grâce, l'ornementation lumineuse. Le premier mouvement lasse un peu, à vrai dire – quatre variations de la Marche des Prêtres (Die Zauberflöte, Acte II) –, mais le jeu délicat du pianiste garde notre attention jusqu’au Menuetto un rien sévère, que suit un sautillant Finale.

Le programme s’achève par Étude en mi mineur Op.97 n°1 (c.1815-1817), issue des trente-quatre Études dans le genre fugué qu’imprima Érard en 1820, là encore à destination des jeunes compositeurs. « Ce recueil est plein de surprises, écrit le musicologue Michael Bulley, incluant des airs simples, des canons, des variations, des séquences harmoniques qui semblent évoquer un esprit romantique du XXe siècle plutôt que du XIXe siècle, même des cloches d’église et, bien sûr, une grande variété de fugues ». L’émotion est au rendez-vous de ce bref opus, triste à fendre les pierres.

LB