Chroniques

par samuel moreau

Archives Alexis Weissenberg
autour de Petrouchka d’Igor Stravinsky

1 DVD Medici Arts (2008)
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un travail de grande classe que les Français n'ont pas toujours su apprécier

Pour commencer, n'hésitons pas à comparer deux artistes réunit Salle Pleyel, ce 31 août 1969 (bientôt quarante ans !), par le Concerto pour piano en si bémol majeur Op.83 n°2 de Brahms, soit deux styles à l'opposé l'un de l'autre : d'un côté, Georges Prêtre, visage de joli cœur à l'air satisfait, qui veut se payer la part du lion avec sa direction empesée, maniérée et pâteuse ; de l'autre Alexis Weissenberg dont le présent DVD nous révèle un travail de grande classe que les Français n'ont pas toujours su apprécier. Ici, l'oreille saisit immédiatement la différence : quand il n'est pas couvert – comme dans l'Allegretto grazioso –, le piano se révèle assurément articulé, d'une grande égalité de nuance, et, pour tout dire, inventif, alors même que l'Orchestre National de l'ORTF livre un son imprécis et brouillon, aux cordes peu justes (Allegro non troppo), aux bois idem (Andante), et aux effets appuyés. Ah, ce final alla Poulenc !...

Suite de moments solistes filmés à la fin des années soixante, le reste de l'enregistrement nous épargne heureusement d'autres alliances monstrueuses, et nous saisit dès le départ avec une interprétation offrant une apparente simplicité aux trois mouvements de Petrouchka. C'est en Bulgarie, vers l'âge de six ou sept – confie le pianiste dans l'entretien bonus – qu'il découvrit l'œuvre de Stravinsky. Des années plus tard, Âke Falck, un assistant d'Ingmar Bergman, capte à Stockholm un jeu extrêmement précis, piqué et sec, où la pédale intervient très peu. Dix jours de tournage aboutissent à un film au play-back parfait, dont les plans renouvellent l'art de la captation.

Le talent de Weissenberg se révèle avec chaque compositeur abordé. Signalons une frappe lumineuse qui, sans exclure la couleur, s'avère aussi intelligible que si on lisait la partition – Sonate pour piano en la mineur Op.28 n°3 de Prokofiev – ; l'énergie concentrée en une seule main, robuste et extrêmement phrasé – Nocturne pour la main gauche Op.9 n°2 de Scriabine – ; un ciselé sans rien de kitsch, d'une élégance qui va de soi – Prélude en mi bémol majeur Op.23 n°6 de Rachmaninov – ; un chant détaché d'une très grande clarté ainsi que quelque chose de concentré, de l'ordre de l'effacement – respectivement dans le Nocturne en ut mineur Op. posthume et l’Étude en ut dièse mineur Op.25 n°7 de Chopin – ; enfin une approche très organistique de la Fantaisie chromatique de Bach, sans l'ornementation retrouvée par les recherches baroques, et les vertigineuses syncopes de la Courante de la Partita en mi mineur BWV 830 (n°6).

SM