Chroniques

par michel tibbaut

archives Eugen Jochum
intégrale des enregistrements EMI

1 coffret 20 CD EMI (2012)
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archives Eugen Jochum | intégrale des enregistrements EMI

Les mélomanes désireux de se procurer en un seul album toutes les symphonies de Beethoven, Brahms et Bruckner – avec Bach les quatre grands « B » de la musique – seront bien inspirés de se procurer cet admirable coffret qui, à petit prix, rassemble judicieusement l’entièreté des gravures qu’Eugen Jochum (1902-1987) accomplit pour EMI à l’automne de sa carrière discographique. Aux enregistrements purement symphoniques sont jointes des pages avec chœurs de Bach (Messe en si BWV 232) et de Mozart (Messe du Couronnement K317, Vêpres solennelles du Confesseur K339). Ces compositeurs ont constamment été le cœur des affinités de l’immense chef bavarois : Jochum a toujours mené sa carrière avec discrétion, ferveur et la plus grande probité, ce qui l’a probablement rendu moins célèbre du grand public que certaines stars contemporaines de la baguette (que nous ne citerons pas), mais qui lui valut la plus haute estime de mélomanes n’ayant que faire d’un vedettariat excessif.

Le centre de gravité de cet album est, bien évidemment, les neuf symphonies de Bruckner (Jochum n’a jamais enregistré les deux symphonies de jeunesse) dont il s’agit ici de la seconde intégrale du chef, réalisée avec l’incomparable Staatskapelle de Dresde entre décembre 1975 et juillet 1980. Cette intégrale a l’avantage d’être confiée à une seule phalange, alors que la précédente était répartie entre le Sinfonieorchester des Bayerischen Rundfunks et les Berliner Philharmoniner. Toutes deux adoptent systématiquement les éditions Leopold Nowak qui, se basant exclusivement sur la dernière version de la main de Bruckner, ne sont pas toujours exhaustives car parfois sévèrement altérées et tronquées : c’est notamment le cas des Symphonie n°2 et n°3. Indépendamment de ce choix, la communion et la vision artistiques de Jochum avec l’opus brucknérien sont idéales, lui qui dès l’époque du 78 tours en léguait d’éblouissantes gravures : d’une haute sensibilité spirituelle toutes ces interprétations témoignent de l’équilibre idéal entre l’aspect schubertien et wagnérien qu’il sut exalter dans ces merveilleuses partitions.

Eugen Jochum était également un beethovénien hors-pair, et les mélomanes d’un certain âge se souviennent très certainement d’un enregistrement de la Symphonie n°5 (Philips) de mai 1951, avec les Berliner Philharmoniker, qui avait fait sensation. Il a légué trois intégrales des symphonies : la première chez DGG (4740182), assez hétéroclite, car non seulement répartie une fois encore entre les formations bavaroise et berlinoise, mais mêlant encore captations mono et stéréo ; la deuxième, nettement préférable, chez Philips (4758147), avec le Koninklijk Concertgebouworkest (dont il fut le chef associé à Bernard Haitink de 1959 à 1963) où plane l’ombre de son directeur musical légendaire Willem Mengelberg ; enfin la troisième et dernière, celle sous rubrique, réalisée avec le London Symphony Orchestra, sans doute la plus accomplie.

Tout aussi flagrantes étaient les affinités brahmsiennes de Jochum : après un splendide premier cycle intégral (en mono) des symphonies chez DGG (4497152), réalisé avec les Berliner Philharmoniker entre mai 1951 et avril 1956, il réitère sa somptueuse réussite chez EMI par une merveilleuse vision de l’ensemble, très lyrique et d’une souplesse inégalée, avec un orchestre qui convient parfaitement à ces œuvres, le London Philharmonic. Cette dernière version a sur la première l’avantage évident d’une plus-value sonore (stéréo), mais aussi de respecter toutes les reprises, y compris celles, rarement exécutées, des Symphonie n°1 et n°2.

La spiritualité fervente d’Eugen Jochum, déjà évoquée à propos de Bruckner, le destinait idéalement aux œuvres chorales religieuses : Mozart, dont ses enregistrements de nombre d’opus orchestraux sont des modèles, est ici représenté par la Messe en ut majeur « du Couronnement » K317 et les Vêpres solennelles du Confesseur K339. Quant à Bach, le Bavarois lui rendit un vibrant hommage par des gravures légendaires, chez Philips, de la Messe en si BWV 232, des deux Passion et du Weihnachts Oratorium BWV 248. Pour les mélomanes réfractaires à la déferlante « baroqueuse » qui allait bientôt s’approprier ces chefs-d’œuvre, les interprétations de Jochum constituent toujours la référence absolue, et il parvient encore à se surpasser dans la version EMI sous rubrique de la Messe en si mineur, faisant amèrement regretter qu’il n’ait pas continué son second cycle Bach. Il n’en reste pas moins que, tel quel, ce coffret est le témoignage éblouissant de l’art suprême d’un des tout grands chefs du XXe siècle.

MT