Chroniques

par laurent bergnach

archives Julius Eastman
œuvres variées

1 coffret 3 CD New World Records (2005)
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archives Julius Eastman | 1 coffret 3 CD New World Records (2005)

Né le 27 octobre 1940, Julius Eastman grandit à Ithaca (état de New York) et commence l'étude du piano à quatorze ans. Élève doué qui joue Beethoven après seulement six mois de leçons, il continue de se perfectionner au Curtis Institute auprès de Mieczysław Horszowski, tout en suivant des cours de compositions avec Constantin Vauclair. Ses débuts comme pianiste ont lieu en 1966. À la fin des années soixante, il fréquente Lukas Foss – chef de file de The Creative Associates –, Morton Feldman, Petr Kotik ou encore Peter Maxwell Davies, dont il enregistre Eight Songs for a Mad King en 1973 (Nonesuch). En effet, le jeune Afro-américain, qui fut choriste à l'Église Episcopale durant son adolescence, possède une voix riche et profonde de baryton qu'on entend dans Prelude to The Holy Presence of Joan D'Arc (1981). Parmi sept autres proposés, ce morceau justifie à lui seul l'intérêt de ce coffret paru grâce aux archives sonores de quelques institutions.

Pionnier peu connu du mouvement minimaliste, Eastman en est un des acteurs les plus originaux, notamment par son usage d'éléments de la pop (Stay on it, 1973). Plusieurs de ses créations n'utilisent qu'un ensemble de quatre pianos percussifs ou de dix violoncelles romantiques et dissonants. Au début des années quatre-vingt, il fait les beaux jours du mouvement New Music, à la recherche d'une expression certes expérimentale mais plus simple, plus libre et plus sauvage que celle héritée d'Europe et du dodécaphonisme. Son écriture comporte ce qu'il considérait comme un principe organique, à savoir que chaque nouvelle section d'une œuvre contient le ferment de la section précédente, à des proportions diverses. Ses longues pièces pour piano, telles Evil Nigger (1979), Crazy Nigger ou Gay Guerilla (1980) comportent dans leur titre une part de provocation politique.

La carrière d'Eastman se déroule entre reconnaissance (la chorégraphe Molissa Fenley utilise sa musique, il est joué par le Brooklyn Philharmonic, etc.) et autopromotion. Il intègre notamment le Center for the Creative and Performing Arts at SUNY Buffalo où il collabore avec le compositeur et flûtiste tchèque Petr Kotik, devient un membre fondateur du S.E.M. Ensemble, et participe à des tournées européennes qu'organisent The Kitchen. Cependant, si cet admirateur de Meredith Monk ne recherche pas vraiment le succès comme créateur, il souffre de ne pas obtenir un poste de professeur à l'Université. Devenu dépendant à l'alcool et au crack après 1983, il perd son appartement de Manhattan et ses partitions sont mises sur le trottoir avec ses biens. Le 28 mai 1990, après un arrêt cardiaque, il trouve la mort à l'hôpital.

En 1991, David Borden composa Unjust Malaise, une pièce à sa mémoire qui donne son titre à ce coffret. Pour notre part, saluons d'une Anaclase ! autant le travail de composition que l’énergie mise à sa sauvegarde.

LB